Dans les années 1920, le Parti communiste et la CGTU (Confédération générale du travail unitaire [1]) décident de la création d’une organisation syndicale regroupant les travailleurs immigrés présents sur le territoire. En 1930, à la veille de la grande dépression, il y avait environ 3,5 millions de travailleurs étrangers en France, soit 7% de la population totale. Ils représentaient 15% de la classe ouvrière. D’abord intitulée Main-d’œuvre étrangère (MOE) puis Main-d’œuvre immigrée (MOI), cette organisation s’est dotée d’une branche armée au début de la Seconde Guerre mondiale pour faire face à l’occupant nazi.
C’est ainsi que le groupe des FTP-MOI voit le jour en 1941. Membre de la MOI depuis les années 30, le menuisier et poète Missak Manouchian rejoint la branche armée clandestine en février 1943. Manouchian était un survivant du génocide arménien qui avait emporté son père (mort les armes à la main) et sa mère (décédée quelques semaines plus tard de la famine imposée par le pouvoir turc). Arrivé à Marseille clandestinement avec son frère en 1925, Missak Manouchian avait adhéré au PCF après les événements du 6 février 1934, ainsi qu’à la section française du Comité de Secours pour l’Arménie [2].
Le 17 mars 1943, il effectue son premier attentat contre l’occupant : avec Arsène Tchakarian et Marcel Rayman ils attaquent à la grenade un groupe de soldats allemands à Levallois-Perret. Rapidement, il obtient des responsabilités au sein de l’organisation. En juillet, il succède au tchèque Alik Neuer, arrêté par la police, au poste de commissaire technique des FTP-MOI à Paris. Il en devient même le principal dirigeant à partir du mois d’août et donc le chef de la résistance parisienne.
À la tête d’un groupe composé d’une soixantaine de combattants, immigrés pour la plupart (outre des Arméniens, on y trouve principalement des Juifs d’Europe de l’Est, des Espagnols et des Italiens), il va pendant plusieurs mois organiser la résistance dans la capitale. Ses troupes passent à l’action plusieurs fois par semaine. Attentats, exécutions d’officiers allemands en plein jour, déraillement de trains, ils ne laissent aucun répit à l’occupant.
Certains membres, comme Szolomo Grzywacz, Célestino Alfonso ou encore Joseph Boczov avaient déjà rejoint les Brigades internationales en 1936 afin de participer à la lutte antifasciste en Espagne.
Manouchian préparait minutieusement les différentes opérations. Comme le raconte Henri Karayan, autre combattant arménien des FTP-MOI : « Il a réfléchi, sur le terrain, à toutes les erreurs à ne pas commettre. Sa stratégie, c’est d’abord d’éviter les opérations suicides. Dogme intangible : avant chaque action, vérifier l’équation selon laquelle cent pour cent d’efficacité égalent cent pour cent de sûreté. Nécessité, aussi, de constituer un arsenal suffisant. Nécessité, enfin, de frapper l’ennemi dans ses centres nerveux. »
Certaines des actions du groupe ont un retentissement important. Figurent en effet à leur tableau de chasse plusieurs officiers nazis comme le colonel et responsable du STO Julius Ritter ou les généraux Von Schaumburg et Van Apt.
Des casernes militaires, des libraires nazies ou encore le siège du parti fasciste italien seront aussi pris pour cible. Au total, plus d’une centaine d’actions sont attribuées aux résistants de la MOI entre février et novembre 1943.
Les importants moyens mis en place par les nazis pour traquer le groupe Manouchian sont la preuve flagrante de l’efficacité des actions de la résistance. En effet, pas moins de 200 agents sont chargés de traquer les membres de l’organisation clandestine parisienne. Brigades spéciales, renseignements généraux, agents municipaux, la police française participe activement à l’opération.
Comme le résume Denis Peschanski, « voilà des combattants étrangers engagés dans la libération de la France qui se retrouvent repérés, filés, arrêtés par des policiers français œuvrant au service de l’occupant allemand ». Après des semaines de filature, ils sont une trentaine de résistants à être arrêtés en novembre 1943. Parmi eux, Missak Manouchian et Joseph Epstein, chef régional de l’organisation. Au moment de leur arrestation, les membres des groupes parisiens des FTP-MOI représentaient l’unique force combattante dont disposait le PCF à Paris. De fait, ce coup de filet met fin à la résistance armée au sein de la capitale pendant plusieurs mois.
Après avoir été torturés des heures durant, 24 des interpellés sont présentés devant une cour martiale allemande le 19 février 1944. Un simulacre de procès a alors lieu. Il débouche sur la condamnation à mort de vingt trois d’entre eux. Les nazis profitent de l’occasion pour lancer une importante campagne de propagande destinée à diaboliser la résistance. Des milliers d’affiches et de tracts sont ainsi diffusés dans plusieurs grandes villes du territoire. Sur ces documents, Manouchian et neuf membres de son groupe sont présentés comme des terroristes.
Mais plutôt que de répugner la population, cette affiche va venir lui rappeler que la lutte contre l’occupant est encore bien vivante. Certains déposeront même des fleurs aux pieds de quelques affiches.
Le 21 février 1944, trois jours après leur procès, 22 des résistants condamnés sont fusillés au Mont-Valérien (la loi allemande interdisant de fusiller une femme, Olga Bancic, 23e condamnée, sera décapitée à Stuttgart le 10 mai 1944). Quelques minutes avant de mourir, Missak Manouchian écrit ces mots à sa femme Mélinée : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand ni contre qui que ce soit. »
Aujourd’hui, alors que le racisme d’État s’est déplacé et frappe de plein fouet les musulmans et les étrangers, que de véritables chasses à l’homme sont régulièrement organisées à Calais ou à Grande-Synthe, que des luttes d’un type nouveau s’annoncent, les leçons des combats antifascistes et émancipateurs des membres de l’Affiche Rouge sont d’une extrême actualité, riches de multiples enseignements, dépassant la simple commémoration.
Sources :
« Ils ont eu le courage de dire “non” : Les résistants du groupe Manouchian (1943-1944) », par Une histoire populaire
« En hommage aux héros de l’affiche rouge » (par l’Union Juive Française pour la Paix)
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