Une Maison de Retraite (EHPAD ) ne peut avoir qu’une finalité de service public. Mais qu’est-ce que le service public ?
Le Service public correspond à un intérêt général qui est défini en France par la loi et dans les pays anglo-saxons par les personnes privées.
Inventorier les fondements du Service public, c’est participer à une bataille de concepts imposés par la démocratie représentative, dite « marchande » :
- il y a des prestations sur les biens auxquelles n’importe quel humain doit avoir accès du fait qu’il est humain,
- si les conditions du marché ne le permettent pas, la loi doit le permettre,
- cette fonction doit être gérée par une propriété de l’État.
Or, depuis près de 40 ans, l’idéologie ultralibérale étend son modèle de marché à tous les secteurs de notre vie quotidienne : social, santé, éducation, justice et bientôt associatif.
C’est ainsi que les gouvernements successifs ont ouvert aux assureurs privés le financement de la protection sociale, des retraites et de la dépendance. Par notre silence, nous abandonnons nos aînés aux griffes du profit financier.
Tout comme les hôpitaux, les Ehpad publics sont depuis plusieurs décennies soumis à une analyse menée d’un seul point de vue comptable. La « rationalisation étatique des coûts » implique des logiques organisationnelles qui non seulement contribuent à aggraver la surexploitation des « soignants », mais encore à altérer de manière désastreuse le bien-être et la santé des résidents.
Quant aux Ehpad privés, ils ont pour la plupart été pris en main par des consortiums mafieux qui organisent pour leur propre compte la marchandisation du grand âge et de ses souffrances. Qui pourrait se permettre de négliger la rentabilisation de cette niche intermédiaire entre la vie et la mort ?
De fait, certains de ces « lieux de fin de vie », transformés en « mouroirs » [1], sont des affaires juteuses et des produits spéculatifs de premier choix, bénéficiant en outre d’un financement public et du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) [2]. Le ballet des regroupements, des ventes et des achats qui anime ce secteur ne permet pas d’en douter. Il est vrai que la clientèle, vestige du « baby boom » de l’après-guerre, est intarissablement remplaçable, et que son état de détresse ne la dispose pas à la récrimination.
Il est également vrai que le personnel est souvent aussi déqualifié qu’il est sous-payé, situation de vulnérabilité qui laisse tout loisir aux Gentils Animateurs de ces « maisons » de se consacrer pleinement à la survalorisation de leurs investissements [3]. Ainsi l’entreprise Korian gère des « maisons de retraite » comme l’Ehpad « La Riviera » à Mougins, dans les Alpes-Maritimes (où l’on dénombrait 34 décès par Covid-19 au 7 avril 2020), ou celui des « Coteaux de l’Yvetten », dans l’Essonne (20 décès liés au Covid-19, au 9 avril 2020), ainsi que celui de « La Chêneraie », à Lherm, en Haute-Garonne (où, le 31 mars 2019, cinq résidents sont décédés à la suite d’une intoxication alimentaire, et où une vingtaine d’autres pensionnaires ont dû être hospitalisés). Ce groupe dirige 800 établissements en Europe, dont 364 en France ; en 2018, son chiffre d’affaires s’élevait à près de 3,34 milliards d’euros.
Cependant, n’en déplaise aux nymphettes, aux jouvenceaux et agents de la technostructure régnante, la vieillesse est le sort de chacun : elle nous concerne tous, dans notre multiplicité et dans notre diversité. Et pas seulement à travers le sort de nos pères et de nos mères, car les personnes âgées sont en fait notre avenir.
Comment dès lors prendre par-dessus la jambe le sort qui leur est réservé, leur enfermement, sous prétexte de « dépendance », dans des institutions indifférentes à leur individualité, à leurs besoins, à leur dignité, à leur santé ? Sommes-nous devenus à ce point indifférents à nous-mêmes ? Comment ne pas honnir et combattre une politique pour qui les vieux ne valent qu’en tant que pertes et profits ?
Selon son groupe d’appartenance et son groupe de référence, une personne âgée aura toujours des comportements différents. J’ai écrit : personne âgée au singulier, en raison de son incomparabilité, qui est le propre de tout individu. C’est une des raisons pour lesquelles je refuse les idées tendant à intégrer et adapter une personnes âgéeet/ou handicapée dans une institution qui aurait les règles et les usages d’une micro-société, tout en se réclamant de l’autonomie.
Ce point doit être clair. Les comportements d’une ou d’un résident personnes âgées ne peuvent en aucune façon être ajustés aux attentes des directions des Maison de retraite. On leur évitera ainsi l’apprentissage d’une vie clandestine et des rôles grâce auxquels ils pourraient résister à certaines demandes de la direction d’établissement. De plus, une institution n’échappe pas, en tant qu’organisation, à la logique de notre système qui nous est imposée comme l’air que nous respirons : l’accumulation d’un capital pour la reproduction d’un profit. Dans ce contexte, une institution ne peut être qu’un microsome social reflétant les rapports sociaux de la société globale.
Si chacune ou chacun expérimente ses problèmes isolément, la personnes âgée possède des droits acquis collectivement. Une certaine idéologie tente de les leur soustraire, en les confinant dans un statut qui serait « en marge de la vraie vie », sans dénoncer leurs ressources insuffisantes et leurs conditions de logement inadaptées à leur spécificité.
[1] Précisons, si nécessaire, que cette appellation n’incrimine en rien des soignants, dont le dévouement est pour la plupart irréprochable, et qui subissent eux aussi la loi d’un néocapitalisme d’autant plus impitoyablement déchaîné qu’il est en situation de s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions.
[2] Cette mesure constitue un des hauts faits d’armes de Macron, ce banquier entré officiellement en politique en 2007, sous Sarkozy. Elle a été transformée, depuis le 1er janvier 2019, en un allègement de cotisations sociales pérennes et à effet immédiat.
[3] Cette mesure constitue un des hauts faits d’armes de Macron, ce banquier entré officiellement en politique en 2007, sous Sarkozy. Elle a été transformée, depuis le 1er janvier 2019, en un allègement de cotisations sociales pérennes et à effet immédiat.
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