« Nous nommerons « alternatives infernales » l’ensemble de ces situations qui ne semblent laisser d’autres choix que la résignation ou une dénonciation qui sonne un peu creux, comme marquée d’impuissance, parce qu’elle ne donne aucune prise, parce qu’elle revient toujours au même : c’est tout le système qui devrait être détruit. »
Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement
Nous y sommes, nous entrons avec cette décennie dans une « nouvelle phase » de gestion sanitaire et politique du Covid-19 : les différents vaccins récemment développés sont désormais disponibles. En premier lieu pour les individus âgés, à risque et porteurs de symptômes aggravés dans les EHPAD et les hôpitaux, que cela soit pour les patients ou le personnel soignant. La communication et le langage se sont articulés au - vaccin - et à ses composantes. Nous sommes désormais branchés sur ce problème.
Néanmoins, comme depuis le début de cette épidémie [et avant aussi], ce langage se branche essentiellement, si ce n’est exclusivement, pour capturer, distribuer et surtout monopoliser les discours légitimes et les pratiques associées. De plus, la tradition discursive moderne occidentale nous a offert un autre legs malheureux : binarité et dichotomie. L’alternative proposée est simple : soit vous êtes avec nous (comprendre vous êtes pros-vaccin), soit vous êtes contre nous (et vous serez désignez comme antis-vaccin). Fendre les mots peut nous permettre de cerner ce qui se joue dans ce spectacle à deux composantes aux effets démobilisants où deux parties alimentent, chacune à leur manière et sous différentes formes, la conservation d’un ordre qui structure les rapports sociaux existants. Finalement, chaque somme ne peut se fonder sans l’autre et se retrouve, dans des phases extrêmes, à visibiliser et harmoniser ses discours, sans qu’aucune résistance ne vienne s’opposer à leurs conciliations.
Revient alors à saisir un problème, celui du pouvoir et de sa décision de scinder le réel en deux : entre favorables et adversaires du vaccin, ainsi que les différentes injonctions de s’y situer, de s’y prononcer et de s’y re-présenter. Quels intérêts et quelles stratégies de pouvoir s’y logent ? De plus, pourquoi un vaccin, qui n’en est vraisemblablement qu’à ses prémisses, crève-t-il l’écran médiatique, et qu’est-ce que cela dit de la gestion politique actuelle de la pandémie ?
Pour cela, nous allons tenter d’en tirer quelques remarques, lignes et réponses qui méritent selon nous d’être soulignées.
Inimitié et confusion
Débarrassés de cette interminable année, voila que nous démarrons ce mois de janvier accompagnés de l’espoir de vaccins efficaces pour limiter les effets d’un virus destructeur qui a traversé 2020. En France, il n’a pas fallu attendre longtemps pour cerner les erreurs et la mauvaise préparation concernant le vaccin. Stocks de vaccins faibles, équipements et outils frigorifiques manquants, logistique et acheminement ratés, personnel médical en sous effectif ou en sur-travail de par les multiples coupes budgétaires dans le domaine de la santé...
Résultat : en quelques jours, on compte seulement quelques centaines de personnes vaccinées alors que Jean Castex [Mr. Déconfinement] annonçait, mi-décembre, à l’Assemblée Nationale l’arrivée de 1,16 millions de vaccins avant la fin de l’année tout comme Olivier Véran assurait que « tout le matériel de vaccination a déjà été acheté ». Alain Fisher, président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale anti-Covid-19, indique pourtant de son côté le 30 décembre : « on a quelques milliers de doses ». Ce dernier se veut rassurant, lui qui fait l’éloge de la lenteur et relativise les différents retards, pendant que des milliers de personnes meurent et que la rapidité des déclarations et des confusions se forme. Dès lors, pour masquer les défaillances et les échecs, il devient nécessaire d’alimenter l’inimitié ambiante, et de scinder le réel en deux. Le ministère de la Santé est désormais catégorique : « face à un très fort scepticisme dans la population française, nous avons fait le choix de prendre le temps nécessaire pour installer cette vaccination ». La population française est donc responsable de l’absence de vaccins et de la propagation du virus. C’est de sa faute. Pendant ce temps, nous attendons toujours les éclaircissements qui permettent d’informer et rassurer les « sceptiques » qui freinent l’efficacité de la vaccination à l’échelle nationale.
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