On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d’inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l’on sait moins, c’est que l’inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie. Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique afin de consolider leur position sociale d’une génération à la suivante. Conjointes et conjoints, frères et sœurs, pères et mères n’occupent pas les mêmes positions dans les stratégies familiales de reproduction, et n’en tirent pas les mêmes bénéfices. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre montre que le capital a un genre.
Introduction
Elle s’appelle Ingrid. Son nom, répandu en Normandie, signifie le vassal d’un seigneur lui-même vassal : Levavasseur. Ingrid est née en 1987 dans l’Eure, non loin des boucles de la Seine. Avec ses trois frères et sœurs, elle a été élevée par sa mère, une femme de ménage devenue par la suite auxiliaire de vie. Un père violent et alcoolique, régulièrement pris en charge par l’Armée du salut, aux abonnés absents. À seize ans, Ingrid quitte le foyer maternel, sans diplôme. Elle enchaîne des petits boulots de serveuse, caissière, opératrice de téléphonie, et se marie. Deux enfants naissent. Un an après la naissance du second, elle divorce. Ingrid a alors vingt-quatre ans. Tout en étant sapeur-pompier dans un centre de secours la nuit, elle suit une formation d’aide-soignante. Ingrid occupe cet emploi, d’abord comme contractuelle de la fonction publique puis dans une clinique privée à Rouen. Elle a renoncé à devenir infirmière, car elle n’avait pas les moyens de payer la formation. En 2018, elle gagne 1 250 euros par mois, touche 95 euros d’allocations logement et 200 euros de pension alimentaire, en tout, pour ses deux enfants âgés de huit et treize ans dont elle a la garde. Elle vit dans une petite maison en location à Pont-de-l’Arche et doit mettre ses enfants à la garderie pour aller travailler à Rouen, à vingt kilomètres de là. Ses vacances se résument à trois jours par an en camping au Mont-Saint-Michel, elle a du mal à acheter des baskets à ses enfants et à remplir le frigo chaque mois. Ingrid a supprimé toutes les dépenses pour elle-même : pas de coiffeur, pas de sport, pas de resto. De toute façon, elle n’a guère de temps, seulement un week-end sur deux, quand ses enfants sont chez leur père.
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