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ANALYSES ET RÉFLEXIONS COLONIALISME - ANTICOLONIALISME
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Publié le 13 décembre 2021 | Maj le 13 septembre 2022

L’Échec d’une utopie, par Thomas Vescovi, ou comment la gauche sioniste s’est fait dépasser par la colonialité de son projet


Au 19e siècle, alors que s’amplifie l’antisémitisme européen, prémices des crimes contre l’humanité qui surviendront au 20e siècle, commence à se concrétiser le projet sioniste. Il s’agit d’un projet de foyer national pour les juifs, censé les mettre définitivement à l’abri des persécutions. Pour les juifs d’Europe, c’est un mouvement d’émancipation d’un peuple, le leur. Un mouvement d’émancipation dont la concrétisation se décide bientôt en terre de Palestine. La publication de L’État des Juifs par l’écrivain austro-hongrois Théodore Herzl en 1896 et le premier congrès sioniste, à Bâle en 1897, où le choix de la Palestine comme lieu d’implantation est décidé, vont précipiter les choses. De la population autochtone palestinienne, de ses aspirations, de ses intérêts ou de son avis il n’est jamais vraiment question, étant entendu qu’elle profitera des bienfaits de la colonisation à venir...

Le nationalisme juif naît donc en Europe, et il commence à se concrétiser en Palestine. Il s’agit donc d’un nationalisme exogène, allochtone, en clair, un nationalisme étranger à la Palestine et qui est exporté sur ce territoire. C’est parce qu’il est étranger à la Palestine qu’il lui faut organiser une majorité démographique juive pour se matérialiser. Le projet sioniste va donc s’appuyer à la fois sur une colonisation de peuplement, et sur des concepts relevant de l’épuration ethnique des arabes de Palestine. L’exemple le plus illustre de ce second point est le fameux “chasser la population pauvre (les arabes) au-delà de la frontière en lui refusant du travail” de Théodore Herzl, considéré comme le père fondateur du sionisme.

Les débuts laissent néanmoins entrevoir une perspective socialiste. En effet, des structures collectivistes ou coopératives sont créées, les kibboutzim et les moshavim, et servent de lieux d’implantation aux premiers colons juifs européens. Cependant, très tôt aussi, les premières institutions coloniales juives voient le jour, elles conduisent à l’achat de terres aux grands propriétaires terriens et à l’expulsion des métayers palestiniens qui travaillaient ces terres. D’un autre côté, les syndicats sionistes privilégient le travail des juifs sur les non-juifs palestiniens. Ces deux politiques ethniques et discriminatoires, qui visent à pousser les Palestiniens au départ, vont non seulement plonger de plus en plus d’entre eux dans la précarité, mais elles vont aussi développer les raisons de la colère et des futures révoltes palestiniennes.

En 1947, après le vote à l’ONU décrétant le partage de la Palestine, la proclamation de l’État d’Israël et la première guerre israélo-arabe, 800 000 Palestiniens ont fui ou ont été expulsés, et se voient dans l’impossibilité de retourner chez eux. En dépit des approches collectivistes et socialistes des débuts de la colonisation sioniste et de la domination politique du sionisme de gauche, l’État d’Israël se fonde donc sur une première épuration ethnique, et rien ne sera entrepris pour réparer le tort commis aux Palestiniens. Lorsque, le 11 décembre 1948, l’ONU fait voter la résolution 194 sur le droit au retour des réfugiés, Israël entreprend la démolition des villages palestiniens.

La guerre de 1967, aussi connue sous le nom de guerre de six jours, est qualifiée de guerre “préventive” dans le cadre d’une grande opération de propagande qui construisait l’idée qu’Israël était sous une menace imminente de destruction. Comme l’ont révélé de multiples sources par la suite, Israël n’était absolument pas menacé et cette guerre était en réalité une véritable agression militaire préméditée depuis longtemps. Cette guerre conduira entre 250 000 et 420 000 Palestiniens de plus à l’exil et ils seront également privés de tout droit de retour. Cela constitue la seconde grande épuration ethnique orchestrée par Israël, ce, alors même que le pouvoir était entre les mains de la gauche sioniste.

Ces quelques faits historiques marquants montrent la duplicité du sionisme de gauche sur les questions ethniques, discriminatoires, colonialistes, nationalistes et annexionnistes israéliennes. Les faits montrent qu’il a plutôt s’agi d’un socialisme inféodé à une construction nationale et qui a été bradé dès lors que les intérêts de ce nationalisme ont été mieux servis par le libéralisme économique. L’utopie initiale, celle d’un État israélien socialiste et aussi profitable aux populations autochtones palestiniennes, est donc un échec qui peut aujourd’hui se résumer en trois points.

1. La domination de la droite dans la société israélienne

Plusieurs éléments permettent d’évaluer la domination actuelle des idées de droite en Israël. Tout d’abord, on assiste à la victoire du libéralisme économique associé à une perception de plus grandes libertés individuelles sur un communisme perçu comme plus oppressif. Ceci est le résultat du tournant vers le bloc occidental, les États-Unis en particulier, qui a été entrepris dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les analyses de l’OCDE révèlent d’ailleurs nettement les effets de cette orientation économique en pointant de très fortes inégalités économiques au sein de la société israélienne. Une personne sur cinq y vit sous le seuil de pauvreté.

Ensuite, la nécessité de maintenir la dynamique coloniale, notamment pour coloniser la Cisjordanie, a poussé les pouvoirs successifs à maintenir une immigration en Israël. L’arrivée de juifs orientaux ou de juifs en provenance de pays de l’ex-URSS a favorisé la droite. Les premiers soutiennent des positions religieuses qui les amènent à rejeter la gauche laïque et donc à soutenir les droites nationalistes qui composent plus facilement avec les religieux. Les seconds amènent avec eux leur conception d’un nationalisme exclusif. Cette dynamique est toujours à l’œuvre et risque de perdurer longtemps.

Enfin, les oppressions coloniales dont sont victimes les populations autochtones palestiniennes ne se sont jamais faites sans résistances. La grande révolte arabe de 1936 à 1939, avant même la création d’Israël, et les grandes intifadas après, en sont des exemples marquants. Cependant, le logiciel idéologique de la gauche sioniste n’étant pas doté des éléments permettant de comprendre en profondeur la réalité matérielle de la société palestinienne, rien n’est venu expliciter ces mouvements de révoltes. En l’absence d’éléments permettant cette compréhension, la seule interprétation laissée à la population israélienne est celle d’une hostilité de nature ethnique et d’un problème sécuritaire que les politiques de droite ont la réputation de mieux traiter. Ainsi, les révoltes palestiniennes ont systématiquement conduit à l’effondrement des gauches.

Quelques chiffres résument à eux seuls la situation et l’ampleur du désastre pour la gauche en Israël. Au niveau politique, le parlement israélien est aujourd’hui constitué d’une majorité de députés de droite (72 sièges sur 120). Dans la population juive israélienne, seuls 13% des gens se disent encore de gauche. Quant à la jeunesse, habituellement la partie de la société la plus progressiste et porteuse d’espoir, elle se reconnaît massivement, à 70%, dans le champ politique de droite.

2. La poursuite de la politique colonialiste et annexionniste en Cisjordanie et la question démographique

La guerre de 1967 a déclenché une nouvelle dynamique politique d’occupation-colonisation de la Cisjordanie à visée annexionniste. En soutenant cette opération, la gauche sioniste montre une nouvelle fois qu’elle n’est pas dérangée par les torts commis aux Palestiniens ni par des politiques bellicistes, d’occupation, de colonisation et de remplacement ethnique qui devraient pourtant appartenir au champ politique de l’extrême-droite. Cette politique pose cependant un nouveau problème démographique à Israël. En effet, les Palestiniens, conscients du fait que “ceux qui partent ne reviennent pas” ont posé comme un principe de résistance le fait de rester, coûte que coûte sur leurs terres. Ils posent, de facto, un problème démographique à Israël et en particulier à tous ceux qui désirent la domination des juifs sur les non-juifs.

En effet, entre les territoires palestiniens et les Palestiniens israéliens, on compte aujourd’hui 6,9 millions de Palestiniens. En 2017, la population juive d’Israël était de 6,9 millions. Ce qui fait un ratio de 50%. Le “problème” s’amplifie encore si on considère que les réfugiés palestiniens (3,2 millions de Palestiniens supplémentaires en décomptant les réfugiés des territoires palestiniens déjà pris en compte dans les chiffres ci-dessus) doivent bénéficier d’un droit au retour, conformément à la déontologie et à la résolution 194 de l’ONU sur le droit au retour des réfugiés.

Les velléités colonialistes et annexionnistes israéliennes sur les territoires palestiniens ont donc introduit un problème démographique insoluble dans l’ambition sioniste de construction d’un État à domination et à majorité juives.

3. Des alliances de la gauche avec la droite et la droite dure

Les dernières élections législatives en Israël ont donné lieu à une saga politique largement commentée. Pour être validées, elles doivent aboutir à la composition d’un groupe majoritaire qui forme ensuite le gouvernement. Autrement dit, les groupes politiques doivent s’unir si aucun groupe n’obtient la majorité des sièges. Les affaires de corruption entourant Netanyahou, ainsi que le populisme du personnage ont fortement polarisé les élections autour de sa personne, au point que la droite, pourtant majoritaire, s’est vue incapable de former un groupe majoritaire. Les premières élections législatives d’avril 2019 ont donc été annulées, les secondes également, et il a fallu attendre les quatrièmes élections, en mars 2021, pour qu’un groupe majoritaire soit formé.

C’est le front anti-Netanyahou qui sort vainqueur de cette dernière élection, mais le groupe majoritaire est, dans sa composition politique, totalement inédit. C’est une alliance entre la gauche sioniste, les partis non-sionistes, la droite et la droite dure israélienne. Avec 13 sièges, soit 10,7% des sièges, la gauche sioniste constituée du meretz et du parti travailliste se voit donc unie à des partis nationalistes, révisionnistes, de national-populisme, ou d’extrême-droite. Le sionisme de gauche se voit ainsi transformé en variable d’ajustement et en faire-valoir d’idéologies en opposition frontale avec les idéologies de gauche.

Le gouvernement ainsi formé s’est récemment illustré par deux annonces politiques. La première révélait la création de nouvelles colonies en Cisjordanie, alors que la seconde qualifiait de “terroriste” six ONG de défense des droits humains. En clair, continuation de l’occupation-colonisation de la Cisjordanie avec velléités annexionnistes d’un côté, et de l’autre, attaque de la société civile palestinienne visant à empêcher toute possibilité d’organisation, d’information et de résistance. La polarisation politique autour du personnage politique de Netanyahou, en lieu et place d’une véritable opposition idéologique, a conduit à une alliance contre-nature unique entre la gauche sioniste et la droite dure. Elle laisse peu d’espoir quant à l’émergence d’une quelconque alternative politique aujourd’hui.


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