Entretien avec La Rumeur

La Rumeur était en concert à Lyon ce jeudi 31 mai. Beaucoup de bruit pour un concert détonnant. Avant de repartir pour Marseille, ils nous ont laissé ces quelques mots.

Avant de rentrer dans l’arrière salle, on a une petite discussion sur les grandes écoles. On retiendra cette phrase, dans une discussion sur Normale Sup’ : "Science-Po, l’IEP, en fait, c’est de la merde...c’est pour les bourgeois qui ont tout râté ! Ils veulent nous faire croire que c’est une promotion pour les jeunes des quartiers...la blague !"

Les Poseurs De Questions (LPDQ) : Après l’élection du 6 mai, plus ou moins démocratique, on a vu plein de manifs sauvages, dans toute la France...ça fait plaisir ?!

Hamé : "Écoutez, la République ne peut tolérer ceci", "nous sommes les garants de la sécurité" (rires). Ca ( les évènements suite a l’élection de sarko) a été sous-médiatisé. Ouais, c’est la réaction, comme beaucoup de gens qui ont subi l’État autoritaire, policier. La réaction des quartiers, les gens ont été abasourdis, sonnés. Quand j’ai vu le visage du nabot sur l’écran j’avais aucune illusion sur le système. Évidemment, Mitterrand ou Chirac, je les considère pas comme un âge d’or, mais il y a des lignes politiques qui ont bougé. Ça a sanctionné. Depuis une vingtaine d’années, on est clairement dans une demande du peuple qui s’est identifiée à trois ou quatre slogans publicitaires... on a eu une campagne [présidentielle] rondement menée ! On a des médias militants, aux ordres. Enfin, même plus...ils n’ont même plus à recevoir d’ordres. C’est la même classe qui parle. C’est la bourgeoisie de droite qui a le vent en poupe pour mettre en place le programme du FN. Tiens, je me baladais dans Paris l’autre jour, j’ai vu les affiches de Mégret, là, le MNR. Et ben Sarko, il a été élu là-dessus, sur les même termes !
Il y a vingt ans, ça aurait fait bondir tout le monde ! Là, regarde : il y a eu un effet hyper puissant qui a savonné la pente. Aujourd’hui, on peut considérer que c’est légitime d’insulter effrontément, d’interpeller des enfants à la sortie des écoles, de privatiser, de parler d’identité nationale...

  LPDQ : Dans une autre interview que j’avais lue, tu citais Gramsci : "Pessimiste dans le constat, optimiste dans l’action".

Hamé : Ouais, c’est ça. Tout est à construire. Les trotskystes, ils nous parlent d’alternative au libéralisme. Le Parti Communiste, je préfère même pas en parler. Les Verts, ils sont mûrs... ouais, je sais même pas quoi dire sur les Verts. Je vais te dire, franchement, j’attends pas d’alternative d’une gauche européenne, d’une gauche extrême. Il y a certains courants de pensée, de lutte, qui demeurent, même si c’est marginal. Mais bon, on est capables de voir le score électoral, mais la portée populaire ? Rien ! Ils sont pas dans les quartiers. C’est pas les partis de masse qui ont une tradition de pensée. Je sais pas, que le prolétariat devrait renverser la bourgeoisie, on a l’impression que c’est le Moyen-à‚ge. Ca nous paraît ringard. Mais c’est ce qu’on a fait de mieux dans les 150 dernières années contre la domination de l’homme par l’homme.

Ékoué : J’attends rien de l’Europe, ça se passera dans le Monde Arabe et en Afrique. Ceux qui me disent que l’Histoire est terminée, évidemment c’est un mensonge. On va voir, mais j’attends rien de l’Europe. Je pense que le centre de gravité des révolutions, il se déplace. Et là, il est ailleurs. En Asie, je sais pas. Mais le constat, c’est désespérant, je suis pessimiste. Mais en même temps, partout où l’humain est écrasé, il y a résistance. C’est dialectique.

 LPDQ : On voit une radicalisation du pouvoir autoritaire, mais il y a aussi une radicalisation marginale en face. Elle est de plus en plus déterminée. Il y a eu les grèves, les émeutes, le CPE, l’élection...il y a peut-être une frange de la population qui n’attend pas qu’on lui serve la soupe... ?

Hamé : Ben ouais, mais ils vont rebondir derrière. Regarde, après les émeutes, ils abaissent l’âge légal du travail. Ils gèrent derrière. Ça me fascine comment le système capitaliste digère ce qui le combat. Il se plie, se courbe, mais ne se casse pas. Tout ! Tout le long du vingtième siècle, la pire de ses antithèses s’est développée... Il a tout avalé ! C’est quoi ce truc ?! Ce Léviathan, ce truc qui échappe à tout... Alors qu’après 1945, le PCF, c’était le premier parti de France, il faisait 35-40 %, il y avait le discrédit de la bourgeoisie qui avait collaboré. Là, Sarko, c’est l’agent le plus zélé de la revanche historique du patronat pour éviter de basculer du côté rouge ! La société française, c’est une réformiste. Sarko, c’est l’épervier, c’est la revanche sociale de la bourgeoisie. Là, ça va être le coup de grâce. Est-ce qu’il faut que tout s’effondre ? Que tout se bipolarise ? Que ce soit clair et net pour tout le monde qu’on a rien à gagner dans ce qu’il propose... C’est de la propagande de la pire espèce.

 LPDQ : Justement, il y a cette bipolarisation qui ré-émerge, qu’on commence à revoir...

Ékoué : Ouais, mais elle parle pas aux masses...on est dans une période de reflux. Les conceptions les plus droitières ont gagné. Tiens, ça me fait penser, je lisais une BD, d’un auteur de Science Fiction, je sais plus comment il s’appelle, c’est chant-mé. Il pense la logique de l’impérialisme américain. Il y a la planète, la Terre, qui s’appelle la République Unifiée du Texas... et il n’y a plus rien à soumettre, il n’y a plus rien... Du coup, il raconte ce qui suit le paroxysme... À lire.
Le 21^e siècle, on va en voir, tiens ! Les Américains qui s’embourbent en Irak, qui perdent leur fric. Économiquement, ils se font doubler et subissent le revers. Ça précipite la crise économique, c’est la loi des séries. Israël n’est plus Israël. La France et l’Europe se retrouvent au 30 ou 40^e rang mondial.
Tout s’accélère, il y a eu une accélération au 20^e siècle. En vingt ans, on a vu tout et son inverse. Toutes les révolutions, humaines, scientifiques...ce que le 20^e siècle a vécu, c’est l’équivalent des quinze premiers siècles de l’humanité. Regarde la Chine ! En quinze ans, elle passe de presque rien à presque tout ! Elle concurrence les States... la rapidité avec laquelle les choses se font. On peut imaginer ça dans l’autre sens ! Il va être plus violent le 21^e siècle !
Mais pour revenir à Gramsci, optimiste dans l’action. Je dis que tout est possible.

 LPDQ : Est-ce que tu crois qu’il y a quelque chose à espérer ?

Ékoué : Je sais pas...j’espère !
Regarde, les guerres napoléoniennes, il y a eu pleins de morts, les deux guerres mondiales, combien de millions ? Et les guerres coloniales ! Tout ce qu’ils nous préparent, ça va être violent. Il va falloir s’habituer à l’idée que que ça va être plus violent ! Il y a pleins d’oiseaux, des petits, et puis il y a un condor et un aiglon (je parle de la Chine et de l’Inde). La France, c’est Titi !! On attend Grosminet, mais on l’attend avec un projet. Les anti-capitalistes, il faut qu’on se creuse la tête ! Il faut être capables de lancer le même genre de défi qu’ont lancé les penseurs anti-capitalistes du 19^e. Besancenot, ça craint.

 LPDQ : Moi ça me choque, Besancenot, ce qu’il propose, c’est mignon, c’est ce que devrait être le PS...

Hamé : Je suis d’accord, c’est de la gestion, il gère. Mais ils sont conscients du discrédit des idées qu’ils essaient de défendre. Allez, ils ont un organe, c’est Rouge. Et puis quoi. Ils font peur à personne. Ils n’ont pas de télé ! Ça intéresse plus personne les tendances trots-coco. Tiens, pendant les émeutes, quand les minots lançaient des Molotov, ils étaient en train de défiler dans Paris pour demander la démission de Sarkozy... Super...

 LPDQ : Dans un autre registre, par rapport à la censure qui sévit déjà, mais celle plus importante qui nous attend, comment vous appréhendez le futur ?

Ékoué : Ben mal, forcément. Avec un président politique aussi unilatéral...Il nous dit quoi dire, quoi penser, quoi bouffer. On se prépare à des années dictatoriales. Tous les signaux coïncident. Sarko, c’est ce qui pouvait arriver de pire. Je suis d’un naturel pessimiste, hein. Après, on n’a pas la prétention de réinventer quoi que ce soit, on fait à notre manière. Et quand on le fait depuis longtemps, avec la même démarche, ben ça résiste à l’épreuve du temps. Quand on résiste depuis le début, finalement, l’alternative, il faut la faire, et c’est le chemin le plus long, mais c’est aussi le plus solide.

 LPDQ : Tu parlais de la médiatisation au début. Justement, là-dessus, il y a des alternatives. Un peu comme vous qui avez choisi de ne pas passer par Skyrock, pour construire l’alternative, il y a des réseaux médiatiques qui existent, qui se construisent...

Ékoué : De toute façon, le pouvoir est incompatible avec le collectif, il est forcément individualiste...

Hamé : Il n’y a que des intérêts particuliers qui s’affrontent, il n’y a pas de défense par un pouvoir d’intérêt collectif, ça n’existe pas l’intérêt général ! La société est clivée, inégalitaire, il y a toujours une domination du plus grand nombre sur une minorité...
(À propos de la phrase d’Ékoué : « Sarko croit rouler en Lamborghini, mais il roule en R 21 ! ») Ouais, il a copié le modèle de com’ des Etats-Unis, c’est la même. Sur la colonisation, pareil, regarde, la France est partout. Il y a le Congo, la Côte d’Ivoire, le Soudan, ... le colonialisme à l’ancienne.

La discussion continue, la prise de notes se ralentit.

 LPDQ : Bon alors et ce concert ?!

Bavar : Terrible ! Cet album, la tournée, ça se passe carrément bien. On savait qu’on était attendus, on avait regardé les pré-ventes, on savait qu’il y aurait des gens. Après, ça tenait qu’à nous. Et bien, bien ce concert, les concerts comme ça, c’est toujours bon, avec un peu d’impro...

 LPDQ : Ouais, parce que cet album est assez différent des autres, je me demandais l’accueil qu’il aurait...

Bavar : Ben, bon accueil, de toute façon, on n’allait pas faire la même chose ! Celui-là, c’est vrai que...au fur et à mesure, c’est vrai que c’est plus le côté insomniaque qui ressort, le côté stressé.

Et voilà donc, nouvel album à écouter, et puis les autres aussi, à découvrir ou à se remettre en tête. En attendant de les revoir sur Lyon... pour encore plus de del-bor !

Fin de l’interview.

Quelques extraits des paroles du dernier album :
 Qui ça étonne encore ? :
"on n’a pas rendu l’âme ni les armes, regardes moi bien je suis la preuve que les frères sont craint, voilà ce qu’on crée de nos mains, ce que l’on sais faire de mieux depuis que l’homme a découvert le feu, l’avenir ne me dit rien et c’est réciproque, les condés pissent dans leurs froques...".

"Ils m’ont parlé des 30 glorieuses, dois-je les avertir que la suite sera laborieuse ? Purée, ils n’ont pas fait que jurer notre perte, censurer nos têtes, murer les portes et déclencher l’alerte. Quel sera le prochain à laisser des plumes sur le goudron ? Quand pour un frangin abattu ils diront ce qu’ils voudront. Il n’est plus question de calme, pleurer c’est pas notre came et l’air est au napalm...".

"Car tout porte à croire que les tierquars ont toute la France contre eux et bien avant que ça reparte en queue, qui ça étonne encore ? Qui veut nous foutre dehors".

 Il y a toujours un lendemain :
"Je me suis extrait de l’épaisseur du soi, avant d’échouer sur cette boucle sans fard que surveille encore une poignée de klébards, je suis l’otage noir des spasmes du pouvoir et je fraie entre la rose et le fumier...".

"puisqu’il n’y a plus rien à comprendre au scénario, seulement des comptes à rendre, à trop nous prendre pour des narvalos, faut plus nous parler de silence on a les réponses à la mesure de l’offense...".

"A ce faire démonter ou se faire taire, poignets liés en l’air un doigt sur la jugulaire, commande ferme, choque thermique à la tempe, les dents pétés par un flic loin des feux de la rampe".

 en vente libre :
"paraîtrait qu’on se coltine la poisse, les angoisses, entre squat, HLM, pas de quoi payer l’ardoise. Dois-je me taire ? Pleurer ? Finir ma vie écoeuré ? Le regard appeuré, au fond d’un rade, raide mort...".

"c’est pas genre on fait la paix, on s’embrasse et point barre. Parce qu’on s’attend toujours au pire de leur part. Parce que le ghetto veut la part qui lui revient, sinon la ville aura besoin de chirurgien".

 La meilleur des polices :
"La meilleur des police c’est ton taf, ta télé, tes crédits, tes anxiolytiques, neuroleptiques, anti-déprésseurs et tout ce que tu prends pour pleurer moins fort la nuit. La meilleur des police c’est tes sourires forcés pendant une mise à l’amende...".

"La meilleur des police demeure inégalable dans l’art de tous nous mettre à table, tous en place, tous remis en cage doux, sages, sans effusion ni rage...".

Bon écoute à toutes et tous !