Du Furan à St-Vic
L’été à Sainté, une partie des piscines ferme et les gosses la cherchent, l’eau. Le semblant de rivière qui coule à Courriot est un peu juste pour satisfaire les envies de baignade et de plongeon. Pourtant, il était une époque où on pouvait patauger en pleine ville. Le problème avec le Furan, c’était qu’il avait gardé sa nature et qu’il inondait les maisons basses. C’était aussi et surtout que les industries de la ville l’utilisaient largement. Odeurs nauséabondes et épidémies ont fait oublier les avantages qu’apportait la rivière. Au milieu du XIXe, on interdit la baignade et on commence à recouvrir la rivière stéphanoise. Elle réapparaîtra de temps en temps en fonction de crues qui restent encore probables.
L’eau disparaît du centre-ville, on va alors la chercher ailleurs. Saint-Victor-sur-Loire est rattachée à Saint-Étienne à un moment où la ville absorbe également d’autres communes (Terrenoire et Rochetaillée). Au début des années 1970, la ville commence à s’inquiéter de rester au-dessus des 200 000 habitants et cherche à changer d’image. Saint-Victor, bien qu’éloigné des limites de Sainté et ne comptant que 600 habitants, permet un accès à la Loire et à des espaces non urbanisés. On aura même une brève tentative de renommer la ville « Saint-Étienne-sur-loire ». D’autant plus pratique que le barrage qui vient d’être installé par EDF crée une retenue. On pourrait dire un lac. À cette époque c’est François Dubanchet qui est maire de la petite commune et encourage la fusion. Une vision d’avenir qui lui permettra de devenir maire… de Saint-Étienne. Il y deviendra célèbre pour avoir rendu l’eau potable de la ville la plus chère de France et tenté la privatisation de la Stéphanoise des Eaux. Il laissera sa place à Michel Thiollière après ce scandale.
Menace sur la plage des Stéphanois
Pendant ce temps, St-Vic est promue « plage des Stéphanois » avec la campagne de communication qui va avec. On le voit avec un affichage municipal toujours plus original d’année en année. Sauf que, récemment, des algues viennent perturber ce plan touristique. Pour les contrer, Perdriau a eu une super idée cette année : produire des ultra-sons dont les fréquences tuent ces cyanobactéries et éviter ainsi la fermeture du site. Un dispositif à 80 000 euros qui ne pose pas la question de l’origine de la prolifération de ces algues… et dont on ne connaît pas vraiment les effets secondaires. L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement) préconise de ne pas utiliser les dispositifs à ultrasons [3].
Lorsqu’on demande à une commerçante située en face du plan d’eau si elle connaît la raison des récentes interdictions de baignade, elle nous explique que « les normes ont changé. C’est à cause de l’Europe. » Il est vrai que la réglementation – française et européenne – et les contrôles sont relativement récents. Des études montrent, depuis le début des années 2000, que les cyanobactéries ont des conséquences sur l’environnement et sur la santé humaine. Le sujet semble toutefois encore largement inexploré et les effets d’une exposition longue à faible dose encore non étudiés.
En fait, les cyanobactéries – qu’on appelle aussi algues bleues – ne sont pas des algues mais des bactéries présentes partout et depuis 3 milliards d’années. Ce sont même elles qui ont permis l’apparition de plusieurs formes de vie sur terre, dont l’espèce humaine. Le problème c’est leur croissance et la toxicité de certaines d’entre elles. On parle de « blooms » pour des explosions brutales de cyanobactéries qui peuvent causer des problèmes digestifs, neurologiques et dermatologiques [4].
La prolifération des cyanobactéries – qu’on appelle aussi algues bleues – n’est pas en elle-même une forme de pollution mais une conséquence – et donc un signe – de celle-ci.
Leur prolifération s’explique notamment par l’eutrophisation (accumulation de nutriments dans un habitat) et une forte présence de nitrates et/ou phosphates. En clair : des températures plus élevées liées au réchauffement climatique, la stagnation et l’accumulation de boues produit par le barrage, les pollutions liées aux rejets industriels et à l’agriculture intensive. L’efflorescence cyanobactérienne n’est pas en elle-même une forme de pollution mais une conséquence – et donc un signe – de celle-ci. Saint-Victor, si proche de la Haute-Loire souvent citée comme l’un des départements les plus propres de France en ce qui concerne ses sols, son air et ses rivières, n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Le chef des algues se veut rassurant
Mais le contexte local peut nous donner quelques explications. L’association « Loire Amont Vivante » milite pour une vidange du barrage. On parlait d’une vidange tous les 10 ans lorsqu’il a été construit mais celle de 1967 a créé des dégâts sur l’aval du fleuve et l’expérience ne fut pas retentée.
En attendant, les recherches sur les cyanobactéries et leurs conséquences tendent à durcir les normes et laissent présager une fermeture totale du site à moyen terme. Sauf à continuer de présenter Saint-Victor comme la Côte d’Azur et ne pas vraiment assumer ces normes. « Il y a deux ans le site était fermé presque tout l’été. Il faisait beau mais il n’y avait personne. […] maintenant, quand les analyses ne sont pas bonnes, il est interdit de se baigner mais les lignes d’eau sont retirées [et pas placées en bord d’eau] donc les gens font comme ils veulent » nous explique la commerçante.
Peu importe. Nous avons passé « un bel été à Saint-Étienne ». C’est en tous cas ce que nous annonce Perdriau, chef des algues. Il fanfaronne que grâce « au dispositif mis en place […] la qualité de l’eau s’est améliorée de jour en jour ». La communication municipale nous expliquait, chiffres à l’appui, que le nombre de jours d’ouverture a augmenté en 2019 [5]. Tant qu’on peut se baigner, tout va bien.
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