Vous avez surement remarqué en vous baladant dans le centre-ville les quelques palmiers aux abords de la place de l’hôtel de ville et de la place Jean Jaurès qui ont surgi avec l’arrivée de l’été. Compactés en blocs de dix petits arbres sur deux rangs, plantés dans de larges poubelles et placés dans les coins des places, on peut douter de leur capacité à « rafraichir la ville », comme le plan de campagne 2020-2026 le prétend [1] ; ce dernier annonce par ailleurs davantage des plantations que de la végétalisation en pot, qui reste temporaire et moins efficace pour réduire la chaleur. Alain Sarfati, architecte et urbaniste, cité par Reporterre, s’insurge par ailleurs contre la pratique de planter des arbres en pots : « planter des magnolias en pots, c’est comme des poulets en batterie, c’est de la maltraitance végétale. Avec un effet sur la photosynthèse nul, car il n’y a pas suffisamment de profondeur de sol pour absorber le CO2. » [2].
Il me semble que l’enjeu de cet aménagement-palmier (auquel s’ajoutait un vague brumisateur) réside moins dans la volonté de diminuer les effets d’une chaleur trop importante en ville que créent les surfaces bétonnées, la climatisation, en rejetant la chaleur intérieure à l’extérieure, ou encore la couleur trop foncée des bâtiments, que de délivrer un simple message aux concitoyen.nes.
Écoutons ce que nous disent les palmiers plutôt que ce qu’ils font réellement, car il ne me semble pas anodin que ce soit des palmiers et non des noisetiers, ou des buis, qui aient été placés au centre-ville de St-Etienne. Les palmiers nous disent d’abord et simplement : « St-Etienne vous offre un air de vacances. Vous êtes ici comme à Ibiza ; même ambiance paradisiaque, consumériste et détendue. ». On s’y croirait ! Les palmiers nous disent ensuite : « St-Etienne vous offre de l’exotisme. ». Ce n’est pas la première fois que le fait de croiser un palmier me fait tiquer car la métropole stéphanoise n’est pas la seule à avoir fait ce choix, et même en dehors de l’été. Promenez-vous à Chambéry, et vous pourrez constater que dans cette ville du sud, s’il en est, les palmiers trônent dans l’espace public. Pourquoi le palmier attire tant dans des régions dans lesquelles il n’est pas indigène et pourquoi est-il présenté si fièrement par diverses municipalités ? Il y a, selon moi, derrière tout cela une idée similaire à celle qui participait à celle des jardins coloniaux au XIXe siècle. L’enjeu de ces lieux, aussi appelés jardins d’acclimatation, était de recueillir la flore des colonies pour la préserver, faire sur elle des recherches, mais il s’agissait aussi de présenter au grand public ce que l’on avait rapporté d’extraordinaire des colonies françaises, des plantes comme certains humains folkloriques. Il fallait faire montre d’une puissance impériale au peuple français et les palmiers faisaient déjà partie de ce décor. Joseph Hue et Pascal Blanchard, en introduction à un livre sur les images de la propagande coloniale, citent les palmes comme faisant justement partie d’une « verroterie impériale », de symboles caractéristiques de l’imaginaire colonial :
Où sont les palmes, les cactus, les paillotes, les vahinés, les boubous, les deltas du mékong, les cargos d’okoumé au large d’Abidjan et les Mauresques dans le bazar ? Tout cela participe d’une sorte de marché du sentiment, de quincaillerie – et d’attirance parfois vraiment impérieuse [3].
Les mêmes auteurs précisent ensuite : « L’exotisme vit du baroque des coutumes et de la sensualité des imaginaires. À la fois autoritaire et signe de dépendance, il demeure lié à l’impression de possession de la différence. » [4]. Le palmier, résolument exotique, présenté hors du lieu où il pousse habituellement, consacre comme végétal une ambition impérialiste qui consiste à exhiber fièrement ses conquêtes. Étant précieux, car demandant certaines conditions pour se développer au sein d’un climat qui ne lui est pas propice, renvoyant à des terres chaudes et lointaines, il est proche du trophée de chasse, de l’ivoire ou de l’ébène acquis avec difficultés ; il resterait en lui de la Mauresque qui sourit, séduisante et dénudée, sur des publicités de la fin du XIXe. Regardez et admirez ce bel objet rapporté pour vous d’un ailleurs sur lequel nous avons pris pied. En exposant de tels arbres, la municipalité reproduit d’anciens gestes et remobilise certains imaginaires. Héritier d’une histoire impériale, instrumentalisé par une communication publique, le palmier vaut finalement, à St-Étienne, à Chambéry ou encore à Metz (où je l’ai vu aussi cet été !), moins comme arbre que comme signe pur, simple image…
Compléments d'info à l'article