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ANALYSES ET RÉFLEXIONS CAPITALISME - GLOBALISATION
Publié le 5 décembre 2007 | Maj le 23 avril 2020

La révolution bourgeoise, le capitalisme et les communaux


Qu’est ce qui fît le succès de la révolution française face au système féodal ? C’est la conjonction de deux phénomènes, la révolte des bourgeois, combinée aux révoltes rurales. La première n’aurait rien été sans la seconde. Malheureusement les conceptions de la première ont éliminé les possibilités d’existence des aspirations de la seconde.

Les deux conceptions du monde se sont affrontées jusqu’en 1794, année à l’issue de laquelle la conception bourgeoise du capitalisme naissant allait prendre le dessus (définitivement ?) et mettre en place toute une série de mesures pour empêcher l’avènement de la démocratie telle que la concevaient les communautés rurales.
Seule la constitution de 1793, qui n’a jamais été appliquée, proposait le suffrage universel, une forme de démocratie participative, et par dessus tout, le droit et le devoir inaliénable de rébellion face à un régime qui deviendrait totalitaire (à l’évocation de ce point fondamental de la constitution de 93, on comprend d’ailleurs, l’acharnement des bourgeois à étouffer le poussin dans l’œuf).
La révolution française a ainsi accouchée d’un monstre, fait pour défendre le capitalisme, et dans lequel seuls les censitaires (ceux qui pouvaient payer un certain montant d’impôt, donc des riches) avaient le droit de vote, et ce jusqu’en 1848 : une pseudo démocratie, une république bourgeoise capitaliste, devenue aujourd’hui avec la version 5, une monarchie élective parlementaire.

Au moment de la révolution, la France est essentiellement rurale, et une bonne partie de la population vit des communaux. Les communaux sont des terrains qui appartiennent à la collectivité villageoise (et non pas à la mairie, qui n’existait pas encore), prés ou bois, et où les plus démunis peuvent aller faire paître leur bêtes, ou ramasser du bois, de chauffe notamment. Les communaux sont hérités de temps immémoriaux, où la propriété privée n’existait pas encore.
Le monde rural des 18e et 19e siècles était composé de différentes catégories de populations, des grands propriétaires féodaux, aux plus pauvres, vivants des communaux, en passant par les petits propriétaires, voire les micro propriétaires. La situation générale d’une région à l’autre pouvaient varier considérablement.

Malgré la dépendance d’une partie énorme de la population française envers les communaux, hérités des temps anciens, et donc beaucoup plus légitimes dans leur existence que la propriété privée, le premier souci des bourgeois fût de les supprimer.
Ils avaient décrété dans leur aveuglement idéologique individualiste (le capitalisme), que les communaux se rapportaient à l’ordre ancien, féodal, et qu’ils étaient un frein à la propagation du « progrès » (le capitalisme), et que donc ils devaient disparaître, aux mépris de tous les paysans qui en vivaient et qui leur avaient ouvert les portes de la victoire dans la révolution. Là où le féodalisme n’avait jamais pu, ni voulu, exercer une tyrannie totalitaire, les bourgeois entendaient bien le faire.
Ils ont donc commencé à vendre les communaux, et à jeter dans la misère des millions de gens. Les révoltes ne se sont pas fait attendre et c’est à cette occasion que la bourgeoisie capitaliste a appris à faire les choses en douceur, graduellement, plutôt que brutalement, ce qui générait des réactions vives et violentes. C’est cette expérience qui leur a appris à agir graduellement dans le vol des libertés fondamentales, pour que les populations ne voient pas le vent venir. Ils ont ainsi très bien intégré ces méthodes qui consistent à retirer graduellement leurs libertés aux gens, tout en les endormissant avec toujours plus de confort. Confort contre liberté, graduellement. C’est ainsi que la situation est toujours plus critique pour les populations, puisque elle bâtissent elles-mêmes leur propre prison, en alimentant le système capitaliste par leur consumérisme et leur goût pour le confort qu’il procure. Le morcellement social, insufflé sur la base de l’adage "diviser pour mieux régner", laisse les individus démunis face à l’état, et seuls la coopération et l’esprit de groupe peut limiter les ravages de l’individualisme, dont l’apparition a été amplifiée d’une part par la tyrannie automobile, qui occupe tout l’espace public et empêche son appropriation comme espace de vie sociale, et d’autre part la télévision, qui en quelques décennies a également contribué à tuer tous les liens entre voisins, et donc à asseoir l’hégémonie de la pensée capitaliste-individualiste.

Dans cette attaque contre les communaux, les territoires n’ont pas tous été égaux, et les zones de montagne ont toujours été moins touchées, avec un mode de fonctionnement dans certaines zones comme l’Auvergne où les communaux ont continué à représenter jusqu’à 75% des surfaces exploitées, jusqu’au début du XXe siècle (je ne connais pas les chiffres actuels, mais de toute façon le régime des communaux a été modifié après la deuxième guerre mondiale en mettant la gestion des bois communaux sous la tutelle de l’état, c’est-à-dire que les habitants des communautés villageoises ont toujours le droit d’y exploiter le bois, mais que c’est un officier des Eaux et forets qui décide de quoi peut être utilisé ou non, le reste étant exploité par l’état lui-même qui en tire profit).

Après cette appropriation d’une partie des communaux - qui devait se poursuivre continûment au long des siècles qui nous séparent de la révolution - la masse des ruraux ainsi jetée sur les routes et dans la misère de l’exode rural, constituait une manne fondamentale de main d’oeuvre pour l’industrie capitaliste naissante. Voilà donc comment les capitalistes ont réussi leur tour de force, de réussir à voler la liberté fondamentale des paysans non propriétaires de s’auto produire, pour remplir leurs usines et les faire tourner, acquérrant ainsi encore plus de pouvoir pour asservir, plus tard, encore plus de monde. Le but ultime, avoué ou non, du capitalisme, étant d’asservir l’humanité entière, comme le prouve cet extrait de l’ouvrage de H. Contamine, "Metz et la Moselle de 1814 à 1870", 1929 et cité dans "Histoire de la France rurale, T3 : de 1789 à 1914" :

"Les classes dirigeantes éclairées étaient très hostiles à ces vestiges d’un temps où la propriété privée n’était pas encore sacrée. Les auteurs du "Mémoire statistique sur la Moselle" (an IX) l’expriment ainsi : "les droits de parcours, de vaine pâture, les communaux sont, avec la passion d’acquérir, des obstacles au progrès de l’industrie parce qu’ils fournissent aux prolétaires les moyens d’élever et d’entretenir du bétail, dont ils obtiennent une partie de leur nourriture et de leurs vêtements, sans que le besoin les contraigne d’y pourvoir par le travail." C’était souhaiter ouvertement une évolution rurale à l’anglaise où, la campagne entière se partageant en bonnes propriétés closes, le prolétaire serait invinciblement poussé vers la domesticité, aux champs et bientôt à l’usine."

On comprend ici, d’une part que le sens du mot "travail" se réfère au seul travail salarié, le mot n’ayant pas encore de manière perverse glissé de sens pour désigner - ce qu’il désigne dans notre société actuelle, esclave de l’illusoire accès aux loisirs - toutes activités productrices, y compris l’autoproduction. "Travailler" est avoir une activité productrice salariée, point final. Les bourgeois du 18e l’employaient avec ce sens, et il est grand temps de faire cesser cet amalgame avec l’activité productrice autonome, finalement considérée comme dégradante au regard tyrannique de la société des loisirs, société d’invention capitaliste, et ayant pour conséquence finale l’asservissement toujours plus grand, à son plus grand profit, de la population.
On comprend d’autre part les abominables intentions des capitalistes, que certains d’entre eux ont osé exprimer à une époque où leur double langage digne du Livre des ruses, n’était pas encore mis au point, et qui sont, évidemment, toujours d’actualité aujourd’hui.

Il convient de ne pas être naïfs et de toujours garder à l’esprit ce but ultime du capitalisme, d’asservissement complet de l’humanité.
Il convient aussi de ne pas oublier les origines rurales de l’anarcho-communalisme, seule forme véritable de démocratie, et dont sont issus toutes les autres formes de "communisme" (le communisme proprement dit n’étant qu’une abominable chimère contre nature, et l’Anarchie et la Commune, de Paris ou de Lyon, les héritières de ce mode de fonctionnement de nos ancêtres, dont les réflexes de sauvegarde face à un quelconque pouvoir central nous ont été transmis de manière atavique).
Il convient aussi de comprendre que la seule véritable liberté réside dans le fait de toujours avoir la possibilité de s’auto fournir en nourriture, et que l’obtention d’un monopole dans ce domaine de fourniture énergétique, aurait des conséquences ultimes pires que tous les féodalismes, le contrôle absolu du capitalisme sur nos vies, l’assurance de la dépendance totale de tout un chacun à son système.
Il convient de prendre conscience que l’activité d’auto production (en nourriture étant la dernière des libertés à ne pas se faire voler) n’a rien de dégradante et quelle est même primordiale pour garder l’équilibre des forces contre le capitalisme. Il faut développer d’urgence une conscience agricole globale, stopper la disparition des moeurs culturelles associées au jardin d’auto production et à la basse-cour de subsistance, et développer les réseaux coopératifs distribués d’agriculture organique.

Il est fondamental de comprendre que c’est la seule mémoire de nos origines paysannes (plus ou moins lointaine pour les uns et les autres), et de notre culture agricole plus que millénaire, qui peut nous protéger durablement du capitalisme.

Références :
- G. Duby, A Wallon, "Histoire de la France rurale, T3 : de 1789 à 1914".
- P. Desbrosses, "Nous redeviendrons paysans".
- wwoof.org


Proposé par Segognat
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