De la fonte redoublée des glaces au Brexit anglais, des contestés jeux olympiques de Rio à la victoire de Donald Trump aux États-Unis, de Notre-Dame-des-Landes à la chute de Matteo Renzi en Italie, en passant par la révolte des Sioux et l’apostasie de présidence inaugurée en France par l’ectoplasmique François Hollande, tout ou presque tout [1], en 2016, aura échappé à "l’intelligence" du vieux pouvoir politique, et montré un épuisement d’icelui qu’aucun clignement d’œil médiatique ne parviendra plus maintenant à déguiser.
C’est qu’à l’approche du désastre définitif, la catastrophe en cours depuis longtemps devait nécessairement devenir toujours plus visible aux yeux de la plèbe, qui a dès lors commencé de réagir en conséquence, quoique encore très diversement et avec plus ou moins d’efficience. Partout en tout cas là où sévissait il y a peu un certain sommeil de l’être, une émotion renaît qui voit les luttes se multiplier, déplacer les fronts, alterner les intensités du conflit, et ouvrir des interstices où les trajectoires de chacun se traversent et renouent avec l’en-commun. Ici ou là , des faucheuses et faucheurs de chaises aux lanceurs et lanceuses de cocktails molotov, nous commençons de renouer des liens avec des formes-de-vie réelle(s) qu’aucune économie de la survie imposée ne saurait plus enceindre.
En France, toutefois, l’élection présidentielle – dont le spectacle entamé depuis longtemps déjà devrait logiquement culminer en mai prochain dans la plus complète insanité -, semble avoir replongé un assez grand nombre d’habitants dans une expectative qui, sans être une palinodie, a quand même beaucoup d’un retour à la plus absurde dévotion au dispositif électoral, et par là même à la domination impérialo-marchande. Là en effet où le printemps 2016 et "sa loi-travail" nous avaient vu nous révolter jusqu’à en mettre debout la nuit même, l’automne, lui, malgré quantité d’escarmouches, n’a pour l’essentiel été qu’un hiver précoce ; l’augmentation des inscriptions sur les listes électorales semble en témoigner.
Le dispositif dit démocratique du suffrage universel visant à nommer au-dessus de soi un ou plusieurs dirigeants tient bien plus pourtant du plébiscite [2] que de la "fête populaire", et c’est d’ailleurs en quoi d’emblée il contient en lui-même la dictature [3] - comme disait Marcuse, le fait de pouvoir élire librement des maîtres ne supprime ni les maîtres ni les esclaves [4], il ne faut pas rêver ; que d’aucuns puissent encore espérer un changement positif à l’issue de la prochaine élection présidentielle après tant de déconvenues successives a dès lors de quoi étonner - mais peut-être n’avons-nous affaire là qu’avec une apparence trompeuse.
Il y a fort à parier, en effet, que sentant la fin proche du monde tel qu’il est, chacun entende présentement jouer un dernier coup de dés afin au moins pour certains de sauver les meubles, pour d’autres de renverser la table. L’option François Fillon pour les premiers, la progression de Jean-Luc Mélenchon et la stabilité de Marine Le Pen pour les seconds n’énoncent d’ailleurs rien d’autres, et le résultat de la présidentielle 2017 ne saurait plus guère autrement susciter la surprise qu’en étant sans surprise.
L’état confus de la situation politique française et mondiale ouvre de toutes façons la porte à tous les possibles, et rend bien aussitôt par là même caduc tout effet propre à stupéfier.
Quelle que soit l’issue de l’élection, la stupéfaction viendra d’ailleurs ; c’est pourquoi le pouvoir en place a d’ores et déjà prolonger l’État d’urgence au-delà de son propre mandat, et demande à la police et l’armée de multiplier les exercices contre-insurrectionnels.
L’assemblée nationale et l’Élysée n’étant plus après tout que des centres vides hantés par des âmes vides, l’évidence de leur inflammabilité reparaît à beaucoup, et la commune – c’est entendu, et, outre l’habituelle duplicité de la canaille syndicaliste, l’échéance n’a pu être évitée jusqu’ici qu’à grand renfort de spectacle médiatico-politique visant à faire accroire encore que les divergences réelles qui parcourent la « société » seraient solubles dans l’État souverain. Autrement dit, on veut faire passer ce qui a tout d’une guerre civile pour un simple débat sur des détails, et ce qui a tout d’un simple débat sur des détails pour une guerre civile, guerre civile que le dispositif électorale seul permettrait de réaliser telle une Pax Romana.
Chacun une fois encore sans doute fera semblant d’être dupe jusqu’en avril-mai, guère plus longtemps, tant il appert que la présidentielle qui vient ne saura qu’entériner de nouveau le désert de l’avoir contre l’être ; les grecs n’ont-ils pas élu Tsipras et son parti Siriza en 2015 [5].
Rien, en 2017, ne viendra plus dissimuler ceci que, de l’extrême-gauche officiel à l’extrême-droite, toutes les politiques étatiques travaillent à sauver ce qui reste du capital, comme au maintien de leur propre domination à sa suite – l’État d’exception permanent n’étant là que la confirmation devenue partout visible [6] qu’un tel constat ne connaît pas d’exception.
L’insurrection, dès lors, devient en France le plus inévitable des possibles, aussi sûrement que le plus impérieusement nécessaire. Souhaitons cependant que nul n’y court par trop naïvement, la commune de Paris jadis et l’exemple syrien à présent ont assez montré déjà combien la domination impérialo-marchande était peu encline à supporter longtemps la présence de révolutionnaires s’organisant en dehors d’elle ; tous les régnants ont toujours été d’impitoyables seigneurs de guerre en puissance.
Mais si la peur est légitime, elle n’arrête pas l’exigence de vivre.
Tous les règnes ont une fin.
Vive la commune !
Le 15 décembre 2016
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