Le combat de chacun est le combat de tous !
Bien qu’appartenant à la société, une population déterminée par ses origines a depuis longtemps été exclue du compte. Elle continue de ne pas être comptée au moment même où ce sur quoi reposait ce mécompte est devenu obsolète. Des représentations et des pratiques, officielles ou sociales, déterminées par cette opération inique persévèrent, vivent pour ainsi dire de leur propre vie, alors même que les soubassements politiques qui les ont produites ont largement disparu. Des femmes, des hommes, des enfants continuent d’être mis au ban de la société. Les représentations juridiquement et politiquement établies sur des rapports de domination aujourd’hui abolis fonctionnent comme des préjugés dont l’origine semble se perdre dans la nuit des temps. Et dans ces conditions, l’on affecte à ceux-là mêmes que l’on ne prend pas en compte la responsabilité de leur exclusion du compte. Cette gestion des hommes a des conséquences sur l’essentiel : l’existence.
Lorsque, d’une manière indéfinie, une population déterminée subit un chômage massif (jusqu’à 60%), ne peut échapper à son isolement dans des ghettos, ne peut protéger ses enfants contre des contrôles répétés des fonctionnaires de police, eux-mêmes placés dans la situation qu’ils occupent par des gouvernements dont la politique se réduit au recours à la force par tradition, par incompétence ou par calcul, la question qui se pose n’est plus celle des seules discriminations. Cette population est placée en situation d’inexistence. C’est pourquoi la tâche qui s’impose à tous ceux qui ne se satisfont pas de cette situation est celle de l’affirmation de l’existence. C’est pourquoi l’égalité dont il est question ici est avant tout politique. Ce dont il est question n’est donc pas la revendication de quelque chose de relatif sur le plan juridique ou socio-économique, un peu plus de droit ou un peu plus de travail, mais l’affirmation d’un absolu, en l’occurrence la transformation radicale des choses. La population supposée être de trop décide de rendre visible l’inégalité qu’elle supporte, l’inégalité devant l’existence, et de créer les conditions de son dépassement. Il s’agit d’imposer un débat public sur la façon dont le réel doit être représenté et agencé, d’éradiquer le mal, bref, exiger la réelle égalité.
Ne sont pas un groupe ethnique ou religieux ceux qui, génération après génération, sont sommés de s’intégrer. S’intégrer à quoi et comment ? à des valeurs mises à mal quotidiennement par de scandaleuses politiques sociales, économiques, urbaines et éducatives ségrégationnistes dans les faits ? S’intégrer comment, lorsque depuis plus de 30 ans, les gouvernements successifs, chassant sur les terres d’un extrémisme raciste et xénophobe, surfent sur le thème de l’immigration, surenchérissent sur l’entrée, l’accueil, le séjour, le mariage... des « étrangers » et restreignent ainsi les droits fondamentaux de tous les Français ? S’intégrer comment lorsque le regard et surtout les pratiques s’appuient sur la sentence : « Vous n’êtes pas d’ici et ne le serez jamais ! » ? S’intégrer à quoi, enfin, lorsque celles et ceux qui sont bardés de diplômes se voient contraints, pour vivre, de se rabattre sur des ménages, sur l’étal d’une boucherie de quartier, une licence de chauffeur de taxi ou la table d’un vendeur de légumes au marché du dimanche ?! La révolte des banlieues de novembre dernier, menée majoritairement par des « jeunes », est bien la conséquence de ces politiques pratiquées jusqu’ici dans tous les domaines et marquées par la négation de l’existence, ce qui engendre nécessairement un ras-le-bol généralisé, donc la révolte.
Ne sont pas un groupe ethnique ou religieux ceux que l’on présente continûment comme des délinquants réels ou potentiels, ceux qui occupent l’espace sans être autorisés à l’habiter pleinement : les citoyens résidents exclus de toute participation à la vie politique (même dans des élections locales), les jeunes gens présentés sous la figure du misogyne invétéré (la « banlieue », majoritairement peuplée par une population « issue » de l’immigration post-coloniale, mise ainsi à l’index, alors que l’oppression faite aux femmes, qu’il faut combattre centralement, traverse toutes les classes et couches sociales), ceux que l’on met à distance depuis des décennies des fonctions d’autorité et de commandement dans l’État comme dans la société, les « vieux » (les chibanis) que l’on oblige à rester à demeure en France pendant plus de six mois sans interruption sous peine de perdre leur maigre complément de retraite et leurs droits aux soins, les sans-papiers et réfugiés dont le seul horizon est l’expulsion, les anciens combattants d’Afrique privés d’une pension égale à celle de leurs « compagnons d’armes » français, les harkis que certains n’hésitent pas à qualifier de « sous-hommes », les médecins d’origine non européenne sous-payés par rapport à leurs confrères français et européens, les Roms, Tziganes, Manouches et autres minorités, accusés de tous les maux et continuellement harcelés, etc.
Joindre nos forces pour les décupler !
Ils ne sont pas une constellation de groupes ethniques et religieux, parce que leur détermination par l’origine est une image, une marque qu’on leur inflige et qui ne correspond pas à leur vie. Parce que, désormais, leur décision de transcender leur état n’a pas pour but de retourner les classifications en opposant les particularismes entre eux, mais de les refuser à partir de la construction d’un lieu commun à tous, c’est-à-dire à n’importe qui. Un lieu commun où apparaîtront absurdes les stigmatisations qui persistent encore et se nourrissent de l’image du colonisé et de l’esclave : incapacité ou refus de « s’intégrer », responsabilité pour le chômage, « l’insécurité », les violences, etc. Ces maux qui sont, en fait, générés par le système politique, économique et social, mais mis sur le compte d’une certaine catégorie de la population dans le but de faire diversion, de diviser toutes celles et tous ceux qui ont intérêt à joindre leurs forces pour mener une action commune contre toutes les discriminations directes, indirectes et systémiques, contre les injustices et les inégalités structurelles : politiques, sociales, économiques, des genres/sexes, des classes et catégories sociales, des ethnies, etc.
La tâche, ainsi qu’il apparaît, est ambitieuse. Il s’agit de refonder la politique en profondeur. De construire une communauté politique de toutes et de tous. Cela ne peut se faire qu’avec l’inscription du plus grand nombre dans le débat qui s’engage. Car si c’est l’égalité qui doit désormais fonder la politique, cela veut dire que nul ne peut s’exclure du débat. En ce sens, la question touche à ce que l’on veut nous présenter comme une évidence intouchable, en l’occurrence la démocratie. Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit : débattre de la démocratie, débattre de la division insupportable que la « démocratie réelle » maintient en son sein, imposer que ceux qui n’ont pas la parole la prennent à propos de ce qui est présenté comme indiscutable, en interrogeant particulièrement l’un des fondements des démocraties modernes : l’égalité. Il s’agit d’aller vers l’union de toutes celles et tous ceux qui, concernés à un titre ou un autre, se donnent pour objectif de mener une action commune - dans les entreprises, les quartiers où sévissent ségrégation et paupérisme, les universités et les lycées, partout où une subjectivité politique commune peut exister - afin que nous décuplions nos forces pour une émancipation effective, pour une société réellement tournée vers les êtres humains.
Rejoignez notre action pour un Mouvement pour l’égalité !
http://www.mouvement-egalite.org
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