Dans l’imaginaire occidental, l’Afrique reste un vaste cliché : savanes pleines d’animaux sauvages, folklores exotiques, épidémies et famines, guerres ethniques, dictatures sanguinaires... Au bal des idées reçues, « l’Afrique va mal » et « c’est une fatalité ». Comme l’a affirmé un jour Jacques Chirac, l’Afrique serait « rétive à la démocratie » [1]. Ou, comme l’a écrit Stephen Smith dans son best-seller Négrologie (2004), les africain-e-s seraient incapables de se « développer » [2]. Même dans les milieux politiques dits de « gauche », on sous-entend parfois que l’Afrique, contrairement à l’Amérique latine, est plus soumise, n’a pas son Chavez, ses Oaxaca ou son Che Guevara. D’ailleurs, si dans les milieux « altermondialistes », de nombreux documents circulent sur les luttes contre les dictatures d’Amérique latine et le nécolonialisme des Etats-Unis, en revanche, sur les résistances africaines et les luttes face au néocolonialisme français, rien ou presque n’est disponible.
Il faut dire que les médias français, et même les médias « alternatifs », ne nous parlent quasiment jamais des mouvements de résistances africaines. Qui connaît Aïsha Dabalé, Patrice Lumumba, Dulcie September, Norbert Zongo, Madjiguène Cissé, Mongo Béti, Aminata Sow Fall, Ngarlejy Yorongar, et tant d’autres qui ont tenté ou tentent toujours de s’opposer au néocolonialisme des grandes puissances occidentales et de leurs firmes capitalistes, France en tête ? Si, dans l’imaginaire collectif, tout le monde sait plus ou moins qu’au Chili de Pinochet ou dans l’Argentine de Videla, des dizaines de milliers d’opposant-e-s politiques ont été sauvagement assassinés, jamais ou presque on n’entend parler des dizaines de milliers d’assassinats et de tortures des opposant-e-s politiques au Tchad, au Togo, au Gabon, au Cameroun, en Centrafrique, au Congo-Brazzaville, autant de dictatures soutenues, mises en place ou conseillées par la France [3].
Et pourtant, l’Afrique n’est pas si lointaine. Elle est là, toute autour de nous ; dans le coltan des téléphones portables conçus dans le Grésivaudan ; dans l’uranium qui alimentait il y a peu le réacteur nucléaire du CEA Grenoble ; dans le bois précieux de la rutilante MC2 ; dans le chocolat des distributeurs Selecta qui pullulent dans tous les lieux publics ; dans le pétrole des bagnoles qui puent, tuent et polluent ; dans une coopération décentralisée grenobloise qui n’hésite pas, en la personne de Michel Destot, à serrer la main d’un Blaise Compaoré, dictateur du Burkina Faso, assassin de Thomas Sankara et de Norbert Zongo. Mais aussi dans le centre de rétention pour immigré-e-s et sans-papiers de Lyon ; dans les réfugié-e-s politiques du Cabinda, du Congo, du Tchad, du Togo, qui tentent une nouvelle vie, ici, à Grenoble, dans la France « patrie des Droits de l’Homme », fer de lance de l’immigration sélective, sauce Sarko ou bientôt sauce Ségo.
En ce sens, se plonger dans les résistances africaines, c’est avant tout s’interroger sur nous-mêmes, ici, à Grenoble, et plus exactement sur les conséquences de notre mode de développement, de production et de consommation. Ici, les centres de recherche à la Minatec, les usines high tech à la Crolles 2, les technopoles du savoir à la Sofia-Antipolis, la consommation effrénée de marchandises importées.
Là-bas, les usines où femmes et enfants travaillent jusqu’à l’épuisement pour fabriquer des baskets, des jouets et des gadgets électroniques, le pillage des ressources, le saccage de l’environnement, le réceptacle des déchets informatiques et des pesticides interdits en Europe, les expérimentations d’OGM aujourd’hui, du nucléaire hier [4], autant de ressources et d’énergie humaine au service, directement ou indirectement, des puissances occidentales. Ici et là-bas, les deux faces d’un même système industriel capitaliste qui étend ses nuisances sociales, sanitaires et environnementales partout sur la planète, en distribuant des miettes de confort dans les pays du Nord, la répression politique ou la dictature douce dans les pays du Sud.
Accueillir la Quinzaine des résistances africaines, à Grenoble, c’est donc interroger nos propres résistances occidentales, interroger nos propres combats contre les nuisances que nous faisons peser, par notre développement, sur le reste de la planète, et, dans le cas de la France, sur ses anciennes colonies. C’est enfin interroger ce qui nous rapproche, nous, grenoblois-e-s, de toutes ces femmes et ces hommes qui luttent, au quotidien, dans tous les pays d’Afrique, pour un monde moins injuste, brutal et absurde.
Pour terminer, notons que cette Quinzaine des résistances s’inscrit dans le cadre du MOIS CONTRE LA FRANÇAFRIQUE organisé par l’association Survie France du 1er au 28 février (http://www.survie-france.org).
Programme détaillé de la quinzaine http://www.survie-france.org/articl...
Vous trouverez ci-joint un tract en format pdf sur la manif du 10 février à Lyon contre le sommet Afrique-France.
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