Mais encore faut-il tenter de comprendre plus précisément ce qu’il nous arrive, en ce qui concerne tant l’épidémie provoquée par le SARS-CoV-2 que les politiques sanitaires adoptées pour l’endiguer, au prix d’une stupéfiante paralysie de l’économie ; car on ne peut, sans ces préalables, espérer identifier les opportunités qui pourraient s’ouvrir dans ces circonstances largement inédites. La démarche n’a cependant rien d’assurée. Pris dans le tourbillon d’informations chaque jour plus surprenantes ou déconcertantes que suscite l’événement, on titube. On n’en croit parfois ni ses yeux ni ses oreilles, ni nul autre de ses sens. Mieux vaut admettre que bien des certitudes vacillent. Bien des hypothèses aussi. Mais il faut bien commencer à tenter quelque chose, provisoirement et partiellement, en attendant que des élaborations collectives mieux assurées ne prennent le relais.
Maladie du Capitalocène et capitalisme comme maladie
Dans quelle mesure peut-on lier l’actuelle pandémie à la dynamique du capitalisme ? La question est et sera au cœur des luttes politiques ouvertes par la crise du coronavirus. On comprend aisément que les forces systémiques feront tout pour naturaliser la pandémie et en imposer une compréhension profondément a-historique. C’est l’exercice auquel s’est livré, en se parant paradoxalement de l’autorité de l’historien, l’auteur du best-seller mondial Sapiens, Yuval Noah Harari [2]. On peut voir dans sa tribune la quintessence de l’idéologie qui sied aux élites du monde de l’Économie et qu’elles s’efforcent de diffuser dans le contexte de la crise actuelle. Pour Y. Harari, l’existence de pandémies anciennes suffit à montrer qu’on incrimine à tort la globalisation, en voulant la rendre responsable de l’épidémie de Covid-19. Par conséquent, il serait tout à fait erroné, une fois le pic sanitaire passé, de prendre des mesures qui iraient à l’encontre des dynamiques globalisatrices ; au contraire, il faut se réjouir des avancées triomphales de la science, qui renforce en permanence les barrières entre le monde des hommes et celui des virus, et il faut faire confiance aux spécialistes de la santé et aux autorités politiques pour protéger efficacement les populations et assurer, dans la coopération et la confiance mutuelle, la bonne marche de l’ordre mondial. On est frappé notamment, dans ce stupéfiant morceau de bravoure idéologique, par le lien établi entre naturalisation de l’épidémie et légitimation du monde de l’Économie. C’est dire combien une contre-lecture, proprement historique, apparaît nécessaire.
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