Le mouvement des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur, grâce au soutien de leurs concitoyens, et face à des mesures qui mettaient en péril le système de recherche français, a obtenu en 2004 des succès importants. Un travail d’élaboration collective considérable a ensuite conduit à un document de synthèse des propositions de réformes du système de recherche en France. Il a été remis au gouvernement en novembre 2004 en vue de la préparation d’une Loi d’Orientation et de Programmation (LOP). La qualité de ce document a été reconnue par tous, y compris par le gouvernement. Or le projet de loi sur la recherche dont nous avons eu connaissance en janvier 2005, malgré un réel effort financier, constitue un retour en arrière inacceptable, compromettant une fois encore l’avenir du système public de recherche.
Il serait désastreux d’asservir la recherche à des intérêts immédiats ou particuliers
La recherche possède une logique propre dont les objectifs ne se réduisent pas à ses impacts à court terme sur la vie socio-économique d’un pays. Elle doit être conduite indépendamment des intérêts particuliers, ou de la rentabilité financière : c’est un devoir à l’égard de nos concitoyens. La recherche fondamentale multidisciplinaire contribue à un enrichissement permanent de notre compréhension du monde, qui éclaire nos choix sur le long terme, et peut provoquer de réelles ruptures technologiques le plus souvent imprédictibles. Il ne s’agit pas de nier l’existence d’un lien entre innovation et recherche fondamentale, mais d’assurer les conditions d’exercice des activités de recherche qui permettent à l’ensemble de la société d’accéder aux fruits de ces activités et de décider collectivement de leurs utilisations. Il est inacceptable de détourner les deniers publics en faisant du service public de recherche un prestataire de service pour le secteur de recherche privée : les efforts en faveur de l’innovation et donc de la politique industrielle ne doivent pas être comptabilisés au chapitre de la recherche. Aucun pays au monde n’a adopté un tel modèle qui ne conduit qu’au gaspillage et à des effets d’aubaine. L’actuel projet de loi est marqué de l’idéologie absurde qui a puissamment contribué à déclencher la crise de 2004.
L’évaluation de la recherche c’est la responsabilité des chercheurs
Il faut un partage clair des responsabilités. Les grands choix politiques en matière de recherche doivent être effectués évidemment par la représentation nationale. Pour agir en connaissance de cause, celle-ci doit prendre avis d’un conseil formé de scientifiques dont une majorité doit être proposée par leur communauté elle-même. Dans le projet de loi, les instances d’orientation, d’évaluation ou de décision sont essentiellement, voire exclusivement, composées de personnes nommées par le ministre. Une réforme efficace des critères et procédures d’évaluation de leur activité ne peut se faire qu’avec les chercheurs, pas contre eux !
Les organismes de recherche et les universités doivent avoir leur propre politique scientifique et en être responsables
Les Etats Généraux de la Recherche proposaient de refonder le partenariat entre organismes de recherche et universités et de leur redonner les moyens de mener une véritable politique scientifique. Cette volonté devait se concrétiser par une augmentation forte des crédits de base affectés aux organismes et aux universités, distribués sur la base d’une évaluation-contractualisation rigoureuse, distinguant la qualité et la créativité hors de tout pilotage. Or dans le projet de LOP, tous les nouveaux moyens seraient accaparés par une Agence Nationale de la Recherche (ANR) étroitement pilotée et dont les grandes orientations seraient couplées aux applications industrielles, et déconnectées de la politique des établissements de recherche. Le poids considérable donné à l’ANR (multiplication par 6 en 5 ans des crédits équivalents actuellement gérés par le ministère) est une aberration : il priverait définitivement les établissements de recherche de toute possibilité de mener une réelle politique scientifique. Les secteurs jugés sans rentabilité immédiate (depuis des pans entiers des Sciences Humaines et Sociales jusqu’aux Mathématiques) seraient rapidement condamnés.
Nous proposions un ensemble de mesures pour améliorer l’articulation entre élaboration et transmission des connaissances. L’essentiel de ces mesures est ignoré ou détourné. Ce lien fondamental doit être réaffirmé par la création d’un ministère de la Recherche, l’Enseignement Supérieur et la Technologie. Nous proposions d’associer localement, dans des structures multidisciplinaires (les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur, PRES), les différents partenaires de l’enseignement supérieur et de la recherche publique et privée. Outils d’aménagement du territoire, ils devaient permettre d’optimiser les projets de recherche et l’offre de formation dans toutes les disciplines, de faciliter les conditions d’exercice de la recherche des enseignants-chercheurs, de servir d’interlocuteur aux acteurs économiques et sociaux souhaitant nouer des collaborations avec des laboratoires de recherche publique. Les PRES prévus par la LOP deviennent très restrictifs, et visent à concentrer les moyens dans quelques centres et thèmes très finalisés, en démembrant les universités, avec une gestion de droit privé et un exécutif nommé par le ministre.
Pour aller de l’avant il faut créer des emplois à la mesure des enjeux.
L’accroissement d’emplois statutaires proposé par le gouvernement correspond environ à un quart de ce qui est nécessaire. Implicitement, les autres emplois à venir, qui viendront en soutien aux projets retenus par l’ANR, seront des CDD. Pense-t-on pouvoir employer des chercheurs, ingénieurs et techniciens expérimentés et obtenir d’eux l’engagement nécessaire à la compétition internationale en faisant d’eux des intérimaires à des niveaux de rémunération bien inférieurs à ceux des autres pays industrialisés ou du secteur privé ? Il est vital de pouvoir attirer des jeunes vers des carrières de recherche et d’enseignement supérieur. Le projet de loi les en éloignera. Ce projet fait l’impasse sur le problème de fond : comment intégrer durablement au système de recherche ou au secteur économique français les générations de jeunes docteurs ? Si le gouvernement se préoccupe réellement de la recherche industrielle, il doit faire des propositions pour que les jeunes docteurs aient leur place dans les entreprises.
Le gouvernement veut appliquer sa recette miracle : diminuer partout le nombre de fonctionnaires. C’est incompatible avec les objectifs qu’il s’est lui même fixé. Si nous voulons former des jeunes à l’université et avoir une recherche compétitive au niveau international, il va nous falloir rattraper le retard notamment en matière d’emploi scientifique et d’enseignement. Les décharges d’enseignement pour les enseignants-chercheurs, accordées sur la base de leur projet de recherche, sont indispensables pour les placer dans les mêmes conditions de travail que leurs homologues européens, afin d’éviter un désengagement parfois irréversible de leur activité de recherche.
Le gouvernement doit revoir sa copie
Le projet de LOP le reconnaît : une augmentation annuelle d’un milliard d’euros pour la recherche par an durant 5 ans est possible. Précisons que ceci ne constitue que la moitié de l’effort supplémentaire nécessaire pour atteindre les 3% promis pour le budget de la recherche en 2010. Cette augmentation d’un milliard d’euros par an est nécessaire pour la recherche publique si l’on veut que la France reste l’une des nations qui créent les connaissances nouvelles, celles du monde de demain. Cet investissement ne doit pas être détourné. Le soutien public à l’innovation dans les entreprises ne peut se faire aux dépens du soutien à la recherche fondamentale sans laquelle il n’y aurait pas d’innovation !
Nous demandons solennellement qu’un nouveau projet de loi soit élaboré, qui reprenne les recommandations et la programmation budgétaire faites par la communauté scientifique dans le texte des Etats Généraux de la Recherche.
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