Dans un tribunal, tout est fait pour mettre l’accusé sous pression et l’inhiber jusqu’au malaise. C’est encore plus flagrant dans une salle de comparution immédiate. Ici, dans cette espace aseptisé, tout est mis en oeuvre pour qu’il n’ose pas prendre la parole pour se défendre, ne lui reste qu’une seule possibilité : subir les évènements.
L’audience ne sera ouverte qu’après une attente de 50 minutes. L’un des deux juges assesseurs sera en effet en retard pour cause professionnelle. Du coté des inculpés, quand on est sur le point de passer à la barre et que la case prison vous pend au nez, les minutes sont longues. Idem pour les familles et les proches venus assister au procès.
Par ailleurs, l’une des juges assesseurs semblait souffrir, à mon avis, d’hypersomnie. J’ai compté approximativement 25 absences de sa part durant l’audience, elle restait figée, stylo en main, la tête baissé sur sa copie.
Ce qui frappe, lorsqu’on on observe la plupart des fonctionnaires de justice dans un tribunal, c’est leur air lymphatique, endormie, leur mine fatiguée, leurs moments d’absence, leurs bâillements, certains vont même jusqu’à s’assoupirent et s’endormirent parfois. On peux largement comprendre se phénomène, rester assis tout au long de la journée avec de longs moments d’attente (parfois une heure d’attente de verdict, voir plus), des discours rébarbatifs, un cadre de travail ultra aseptisé et monotone, une salle d’audience très peu aérée.
Mais on peut aussi se mettre à la place de l’accusé qui subit cette ambiance avec cette impression de ne pas être écouté réellement, de ne pas susciter d’attention de la part de celles et ceux, qui vont pourtant décider de son avenir. Car c’est bien cela qu’ont entre leurs mains les juges, l’avenir des personnes qu’ils ont devant eux.
Autre point important. Dans la salle C du tribunal de St-Etienne où se déroule les comparutions immédiates, les avocats n’ont pas d’espace ni de mobilier propre à l’exercice de leur profession, ils font donc leur plaidoirie sur les bancs réservée normalement au public. Leurs documents sont posés sommairement sur la tranche du dossier du banc. C’est assez révélateur du peu d’importance qui est accordé à la défense dans ce type de procédure judiciaire.
Dans un célèbre film sorti en 1985, qui se voulait à l’époque un film de science fiction (il l’est encore, sauf sur l’aspect qui suit), l’un des personnage principal apprenait dans un article de presse daté de 2015, qu’un de ses proches avait été condamné à 15 ans de prison ferme lors d’un procès de justice qui n’avait duré que 2 heures : « en deux heures seulement ?!! ».
Son vieille ami scientifique lui répondait alors ceci : « le système judiciaire est devenu très performant depuis qu’on a supprimé les avocats ».
Avec une durée moyenne de 20 minutes de procès en comparution immédiate, nous étions à l’époque, avec les 2 heures de procès, bien loin du compte.
légende image (du haut vers le bas) : barre horizontal : juge et ses assesseurs. Barre vertical gauche : procureur et éventuellement un de ses substitut). Barre verticale droite : le greffier. Arc de cercle au centre : la barre. Barres horizontale restantes : 1re barre : banc de l’accusé et escorte, barres restantes : bancs réservés au publique.
L’escorte fait entrer le premier accusé.
Karim à 27 ans, il habite St-Chamond et travail en CDI depuis 4 ans comme forgeron, ses horaires sont de 4h30 à 12h30. Durant l’année 2007, il a eu un malheureux accident de voiture qui a causé la mort d’une personne. La victime procédait alors à un demi-tour illégal sur une ligne droite, Karim de son coté arrivait à vive allure et n’avait pas pu éviter le véhicule. Il s’agissait donc d’un homicide involontaire.
Depuis, son permis a été suspendu et il va au travail en bus ou en co-voiturage avec un ami. Récemment, il c’est réveillé en retard et a décidé de prendre sa voiture. Sur le trajet, il a été interpellé et contrôlé par les policiers. Les faits qui lui son reprochés son donc d’avoir conduit malgré sa suspension de permis.
Des échanges ont lieu entre le juge qui prend connaissance du dossier et pose quelques questions à l’accusé, quel profession exerce-t-il, sa situation familiale, son dernier accident, etc.
L’avocate de son coté a du récolter en dernière minute, quelques documents nécessaires à la défense de son client.
Au bout de quelques minutes écoulées, le procureur fait son réquisitoire : « Encore une fois, on vient nous dire qu’on se rend en bus à son travail en temps normal et que la seule fois ou l’ont prend son véhicule c’est la fois ou l’ont se fait contrôler…oui bon…moi je ne crois pas du tout à cette version », « nous avons là quelqu’un qui se moque de la justice, puisqu’il ne tiens pas compte de la suspension de permit qu’il lui a été imposé… », « je réclame donc une peine de 2 mois ferme, ou, au cas ou le tribunal n’irait pas jusqu’à cette sanction, 600 euros d’amende et 1 an de suspension de permis de conduire. »
Le juge : « Merci monsieur le procureur, la parole est à la défense »
L’avocate de Karim précisera que son client ne c’est pas encore remit de son dernier accident et qu’il a du poser plusieurs arrêts de travail en raison de son mal être et de son sentiment de culpabilité. Qu’il n’est pas quelqu’un de marginal, qu’il a une petite amie et que son employeur est satisfait de lui. Karim a même appelé son chef le matin de son arrestation pour lui dire qu’il était en garde à vue et qu’il n’était donc pas en mesure de se rendre sur son lieu de travail. Elle demande au tribunal une obligation de soins, une peine de sursis et une mise à l’épreuve.
Le juge : « vous avez quelque chose à rajouter ? »
Karim se lève et se met devant la barre située à hauteur d’homme, poses ses avants bras sur la barre et prend la parole : « je ne veux pas perdre mon travail… ».
Le juge le coupe : « ne vous appuyez pas, enlevez vos coudes ».
Une exigence de droite posture de l’accusé fort déplacée de la part du juge en vue des positions de corps plutôt négligés de ses acolytes (bâillements, absences, etc.).
Le juge : « continuez »
Karim : « …je ne sais plus trop où j’en suis »
Le juge : « bien, le verdict sera rendu en fin d’audience »
L’escorte de trois policiers menotte Karim et le reconduit dans sa cellule, encore 2 heures d’attente environ et d’angoisse avant le compte rendu de son audience.
De plus en plus de gens sont face à se dilemme : perdre leur emploi ou conduire sans permis. On se met à la place de tous les salariés comme Karim qui travaillent en post et commencent leur journée avant le levé du soleil. On imagine aussi les contraintes du co-voiturage ou des trajets fait en vélo avec des horaires pareils.
Il faut aussi savoir que vu les critères moraux des juges, dans le cas présent, un chômeur célibataire n’aurait peut être pas évité la prison ferme.
Dossier suivant.
Monsieur Benyamoun est né en 1978 à St-Etienne, il est pompiste chez BP depuis l’année 2003, il est marié et père de deux enfants.
Le juge fait un rappel de ses antécédents judiciaires qui s’échelonnes de 2001 à 2006 : suspension de permis pour 3 mois avec 600 euros d’amende, deux récidives de conduite avec un taux supérieur au taux légal, 2 condamnations à 4 mois de prison ferme pour vol en réunion.
Le juge : « vous avez quand même un sacrée casier monsieur », « les faits qui vous son reproché son d’avoir conduit en état d’ivresse avec un taux de 0,74g/l. Vous êtes allé au restaurant ou vous avez bu deux whisky, vous êtes ensuite allez en boite de nuit, ou vous dites avoir consommé, 2 whisky et une vodka, vous êtes rentrez chez vous au volant de votre véhicule, lorsque vous vous êtes rabattu un peu trop prêt d’une voiture de police et c’est là que les policiers vous on contrôlé »,
« vous reconnaissez les faits ? »
Monsieur Benyamoun : « oui monsieur le juge ».
Quelques échanges ont lieu entre le juge et l’accusé sur les détails du déroulement de la soirée.
Le juge reprend la parole : « c’est votre 3e récidive de conduite en état d’ivresse, vous avez donc un problème avec l’alcool », « combien gagnez vous par mois monsieur ? »
Monsieur Benyamoun : « je travail au smic »
Le juge : « et vous arrivez à vous payer des sorties de ce genre ? L’alcool coûte cher dans les établissements comme les boites de nuit ».
Monsieur Benyamoun : « comme je vous l’ai dis, je travail 5 jours sur 7, j’étais donc en week end et je suis sortie… ».
Le procureur de la république prend la parole : « Qu’est ce que faits Monsieur Benyamoun ? Et bien c’est très simple en faite, il soigne le mal par le pire, puisqu’il n’est pas sortie juste pour boire un canon, mais comme il nous l’a dit, il a bu plusieurs verres de whisky, sachant très bien qu’il allait devoir conduire pour le retour... », « personnellement, je ne trouve pas ça très logique de boire comme il le fait lorsqu’on a un problème avec l’alcool », « je requiert donc une peine de 6 mois de prison dont deux ferme avec obligation de soins, une amende de 200 euros et une interdiction de permis d’une durée de 6 mois ».
Dans un tribunal, les notions boire pour décompresser ou faire la fête sont exclues, quand on boit c’est forcément que l’ont a un problème avec l’alcool.
L’avocate fait sa plaidoirie en moins de 4 minutes, ses documents sont posés sur le dossier d’un des bancs réservés aux public venu assister aux audiences. Dans cette salle du tribunal, les avocats n’ont pas de place propre, c’est représentatif de la procédure de comparution immédiate ou la défense des accusés est mise au second plan.
Elle rappellera que son client a une stabilité de l’emploi depuis 5 ans, qu’il à une vie de famille stable et qu’il a récemment fait l’acquisition d’un appartement. Qu’il est donc inséré socialement et qu’il a besoin de son travail pour payer le crédit de son appartement.
Le juge : « vous avez quelque chose à rajouter ? »
Monsieur Benyamoun : « je souhaite conserver mon travail ».
Le juge : « bien, faite retirer l’accusé, le verdict sera annoncé après le délibéré ».
L’escorte menotte l’accusé, qui échange un dernier regard avec sa mère et sa sœur venues sur les bancs pour assister au procès, qui aura duré un quart d’heure.
Dernière personne à comparaître.
Monsieur Nedmjar a 35 ans, il est marié et père d’une petite fille de 18 mois. Il travail comme électricien depuis 2004, date de sa dernière sortie de prison. Il est dépendant à la cocaïne, il suit un traitement de substitution à la méthadone depuis 4 ans. Il comparait devant le tribunal en tant que récidiviste pour détention de stupéfiant (cocaïne). Il a été interpellé à la sortie d’un bar situé rue Antoine Durafour à St-Etienne, il faisait apparemment l’objet d’une filature. De plus, on apprendra lors de l’audience qu’une enquête est en cours à propos de ce fameux bar. Je ne sais pas si il faut faire le lien, mais la veille, j’avais aperçu deux policiers en civil en attente dans une voiture bleue à un niveau situé entre l’hôpital de la charité et la pharmacie située au début de la rue Durafour.
Le juge à l’accusé : « vous acceptez d’être jugé aujourd’hui ? »
Pas de réponse.
L’avocate : « je suis étonnez de cette hésitation monsieur le juge, je m’étais pourtant mise d’accord avec mon client avant l’audience ».
Il est possible et même conseillé de refuser la comparution immédiate, mais le juge donnera une explication très flou : « vous pouvez refuser d’être jugé aujourd’hui mais c’est nous qui décidons si vous restez en prison ou pas ».
Après une brève hésitation, l’accusé accepte le procès.
Le juge fait un rappel des faits au moment de l’arrestation :
« vous avez été interpellé en sortant du bar et les policiers ont trouvés sur vous un caillou de stupéfiant répertorié comme plante vénéneuse de 11 grammes ».
Monsieur Nedjmar reconnaît les faits et restera tête baissée durant tout son jugement.
Le juge lui demande quel son ses revenus et comment il gère des dépenses de 400 euros (à raison de 40 euros le gramme) sur un salaire de 1000 euros.
Monsieur Nedjmar lui réponds qu’il travail au smic. Sur la question de la gestion de son budget, il dira au juge « je me suis mit dans le rouge ».
Le procureur, qui semble ne pas avoir saisi le sens de cette expression lui fera répéter sa phrase.
L’accusé explique ensuite, sur demande du juge, comment il ce procure ses doses. Il dis être aller au bar et avoir acheté 1gramme de cocaïne, puis 3 grammes et qu’il y est ensuite retourné quelques semaines plus tard pour acheter 11 grammes et qu’a chaque fois, ce n’était pas la même personne qui le livrait.
Le juge : « je vois que vous n’avez pas voulu dire aux policiers à qui vous achetiez votre cocaïne », « vous ne savez toujours pas qui c’est ? ».
Les juges prennent ce refus de délation comme un refus de collaborer avec la police et la justice et cela pèse toujours négativement dans la balance, contre l’accusé. C’est un fait, dans la tête d’un fonctionnaire (police ou justice), celui qui ne dénonce pas un dealer (donc pour eux, un voyou) est lui-même un voyou.
Entre deux bâillements, le procureur annonce son réquisitoire : « sans vouloir faire de jeu de mots monsieur le juge, l’accusé nous dit s’être mis dans le rouge, moi je crois plutôt qu’il se mets dans la blanche ».
Humour déplacé, comique de bas étage. On pourrait penser ici à un petit dérapage anodin, mais c’est un classique pervers que les procureurs s’autorisent assez souvent. J’ai même été témoin plusieurs fois de remarques méprisantes qui n’avaient pour autre but que d’humilier et de rabaisser les accusés déjà en état de stress, avec des sourires à l’appuie entre juges et procureurs. Entre dans la catégorie de pervers, les personnes qui prennent plaisir à humilier les plus faible qu’eux.
« vous lui demandiez monsieur le juge, comment est-ce qu’il faisait pour se payer 400 euros de cocaïne avec un salaire de 1100 euros et bien je crois que la solution est simple, il fait de la revente au détail… », « Comme il s’agit d’une multi-récidive, je demande donc au tribunal de se référer à l’article 132-19 du code pénal et d’appliquer une peine plancher, soit un emprisonnement de 4 ans ».
La parole est à l’avocate : « contrairement à ce qu’a sous entendu monsieur le procureur, mon client n’est pas un dealer, suite à la perquisition de police dans son appartement, aucuns indices qui pourrai laisser penser au fait de deal n’a été relevé, pas de liste de numéro, pas de double portable, pas de matériel particulier, comme peuvent utiliser en général les dealers », « mon client, c’est reprit en main dès sa sortie de prison, il a trouvé un travail et il s’y tiens depuis 4 années, ce n’est pas rien… », « il a entreprit un traitement de soins à la méthadone pour essayer de décrocher de la cocaïne, il fait des efforts malgré les rechutes qui entraînes, comme il m’en faisait par avant l’audience, des tensions avec son épouse… ».
A l’évocation de ses faits, Monsieur Nedjmar pleure et essaye de se contenir, il reste tête baissée.
La plaidoirie est terminée, le juge donne la parole à Monsieur Nedjmar assez abattu, qui rajoute simplement à voix basse, qu’il souhaite garder son travail.
L’escorte le ramène en cellule, les juges se retirent pour délibérer.
Dans la salle, une des deux avocates présentes reste avec la famille d’un des accusé pour la rassurer et discuter, l’autre avocate est au téléphone, « salut ça va ? J’étais de permanence aujourd’hui, on attend le verdict là … ».
Après 45 minutes de délibéré, les verdicts tombes :
Karim est reconnu coupable par le tribunal qui le condamne à 60 jours d’amende à raison de 30 euros par jour (les jours impayés se transforme en jours de prison), 6 mois de retrait de permis et interdiction de se représenter pour le permis de conduire avant 1 an et demi.
Le juge lui annonce que s’il règle son amende dans sa totalité avant un délai d’un mois, il bénéficiera d’une réduction de 20%.
Monsieur Benyamoun est lui aussi déclaré coupable par le tribunal et condamné à 6 mois de prison dont 4 avec sursis avec une mise à l’épreuve de 18 mois, une amende de 200 euros avec obligation de soins pour l’alcool et une interdiction de permis de 6 mois.
Le juge : « Vous pourrez bénéficier d’une remise de 20% si vous réglez votre amende dans un délai d’un mois, vous serez convoqué par le tribunal prochainement pour savoir dans quelle condition vous ferrez vos 2 mois de prison, à voir pour la semi-liberté, estimez vous heureux hein, estimez vous heureux ».
Au moment de sortir de la salle, monsieur Benyamoun lancera un très banal : « merci, au revoir ».
Dernier verdict, le tribunal assomme Monsieur Nedjmar avec une peine de 2 ans de prison dont 14 avec sursis avec une mise à l’épreuve de 2 ans, une obligation de soins avec résultat.
Le juge : « le tribunal n’a pas appliqué la peine plancher de 4 ans car vous travaillez et êtes père de famille, attention prochaine récidive c’est 4 ans de prison monsieur, 4 ans ».
Ce n’est pourtant pas en prison que Monsieur Nedjmar pourra entamer des soins. Quand on sais qu’une des première condition à remplir pour espérer décrocher d’une drogue dur est l’amélioration de son état psychologique, les juges et le procureur présent n’ont fait ici qu’aggraver la dépendance de Monsieur Nedjmar. Huit mois de prison ferme c’est perdre son travail et c’est assez pour détériorer des liens familiaux.
Un bel exemple ici de justice d’abattage.
L’audience est levée.
Vocabulaire : http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/delibere.php
Compims de lyon : http://www.compim-lyon.fr/
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