La France coule. C’est Eric Jaillet, de la DST qui le dit. Il est en charge des questions de protection du patrimoine industriel, une des trois missions de la DST, sur les régions Rhône-Alpes et Auvergne. Il est seul sur ces deux régions à assurer la mission qui consiste à informer les entreprises françaises sur les dangers du renseignement économique ainsi que sur les moyens de s’en protéger et de contre-attaquer. On l’écoute, et il nous dit qu’en France la situation est très grave.
La DST assure trois missions fondamentales : contre-espionnage, anti-terrorisme et protection du patrimoine. La protection du patrimoine consiste à protéger les industries françaises du vol, du sabotage et de la désinformation venant de pays étranger, y compris du vol de données sensibles, nerf de la guerre dans une économie basée sur l’innovation. Eric Jaillet parcoure Rhône-Alpes et Auvergne pour donner des conférences aux acteurs économique sur ce sujet.
Les enjeux au niveau de l’intelligence économique sont colossaux. Une entreprise dont le fond de commerce est constitué de produits innovants et qui ne se soucie pas du renseignement, est vouée à disparaître, dans le contexte d’une économie mondialisée. Et ceci est vrai quelle que soit la taille de l’entreprise, dont vingt milles sont concernées en France. Là où les japonais et les anglo-saxons ont imposé la règle du jeu depuis longtemps, les entreprises françaises ont eu du mal à la comprendre et sont à la traîne, et avant qu’elles aient comblé leur retard, les dégâts sur l’économie française auront été considérables. En France, chaque année la liste des "technologies clés pour la compétitivité de demain" diminue, et ceci à une vitesse effrayante : 136 en 1995, 119 en 2000, et 83 en 2005 ! Economiquement, la France coule. A pic. La raison de ce retard est que les entreprises françaises ont dormi sur leurs acquis en terme d’innovation, pendant une bonne décennie, alors que dans le même temps les anglo-saxons investissaient à tour de bras dans le domaine, investissements dont ils tirent les fruits alors que les français rament. L’innovation est un investissement sur le long terme, qui paie à coup sûr dans le type d’économie où nous nous trouvons.
Actuellement, seules les plus grandes entreprises françaises sont sensibles à ces considérations de sécurité des données sensibles et de renseignement économique, mais malheureusement, ce sont précisément ces entreprises qui n’embauchent plus depuis longtemps sur le sol français. Celles qui emploient sur le territoire, les PME et PMI, n’ont aucune culture en intelligence économique. Elles se font piller leurs technologies innovantes, et n’ont pas de vue d’ensemble du marché et de leurs concurrentes. Aujourd’hui plusieurs campus français ont ouvert des formations en intelligence économique, mais il semble que cela arrive trop tard pour que le tissu industriel français puisse en bénéficier avant l’effondrement final.
Le renseignement économique est l’œuvre non seulement des services étatiques des différents pays, mais aussi et surtout d’agences privées, qui travaillent pour la concurrence. Et même si la loi interdit certaines pratiques intrusives, comme le piratage informatique, tous les moyens sont bons lorsque les enjeux économiques sont considérables. Ces services de renseignement privés fleurissent partout dans le monde, en France on en trouve 3000. Dans le monde actuel, c’est l’économie qui mène la danse, et quand on sait que parmi les cents premières puissances mondiales, il y a plus d’entreprises que d’états, on comprend vite que les nations ont fait long feu, et que l’action d’information de la DST ne servira qu’à sauver quelques milliers d’entreprises tout au plus.
Dans ce contexte, on peut saisir que le désengagement de l’Etat dans le financement des universités et la loi sur l’autonomie ne fera qu’accélérer le processus. On peut d’ailleurs se demander quelles sont les véritables intentions de ce gouvernement quand il durcit artificiellement les conditions de vie des universités pour accélérer la « sélection naturelle » et faire disparaître celle qui ne pourront s’adapter en n’arrivant pas à trouver des financements nouveaux (privés ou régionaux) pour compenser le désengagement de l’Etat. Dans la région, si la petite université de Saint-Étienne venait à disparaître, ce pourrait être une belle aubaine pour Lyon, qui pourrait ainsi renflouer ses effectifs, notamment en science, secteur en carence depuis plusieurs années (au bénéfice des filières commerciales). Le but ultime semblant bien être celui-là : reconcentrer les campus en faisant disparaître les petites facs. Mais à l’échelon national, dans un pays où la recherche et l’innovation sont à la traîne, quel peut être le bénéfice de cette stratégie qui leur fera prendre encore plus de retard ? Faire en sorte que la France soit le premier pays où le capitalisme s’écroule ? Alors dans ce cas, pourquoi ne pas ériger Sarkozy en bienfaiteur de l’humanité ?
Compléments d'info à l'article
3 compléments