Contexte : l’après-guerre en Italie
Après la première guerre mondiale se crée en Italie un climat de veille de révolution : les protestations du mouvement antimilitariste, celle liées au chômage alarmant, aux difficultés de la vie quotidienne mais aussi les espoirs suscités par les événements révolutionnaires qui secouaient la Russie, explosent en une succession de grèves et de désordres divers.
Les premiers signaux de mécontentement populaire se manifestèrent à Turin. Le 22 août 1917, spontanément, les travailleurs et travailleuses croisèrent les bras contre la guerre et le patronat ; les anarchistes du quartier de la Barriera di Milano (Turin) furent parmi les principaux protagonistes des émeutes qui éclatent dans toute la ville. Une semaine plus tard, la violente répression de la police (50 morts parmi les grévistes, et plus de 1000 arrestations) met fin aux protestations.
Après les élections de 1919 (gagnées par Francesco Saverio Nitti du Partito Radicale Storico), la grave situation économique du pays explosa en une série innombrable de grèves et d’occupations. Durant les deux années 1919 et 1920, restées dans l’histoire de l’Italie comme le Biennio rosso (les deux années rouges), le pays est secoué par une véritable crise révolutionnaire. Au mois d’août s’amorce un mouvement d’occupation des terres abandonnées (le 24 août, les terres agricoles romaines sont occupées). À Turin, en grande partie grâce au travail des anarchistes (Maurizio Garino, Italo Garinei et Pietro Ferrero), est constitué, au mois de septembre, le premier Conseil d’usine, organisme avec lequel les travailleuses et travailleurs cherchent à prendre le contrôle de la production et à jeter les bases de la révolution prochaine.
Les occupations d’usines en 1920
Le 30 août 1920, la direction d’Alfa Romeo de Milan annonce la fermeture de l’usine. Spontanément, les ouvriers l’en empêchent en occupant l’établissement et en étendant, avec la participation de près d’un demi-million de travailleuses et travailleurs, un mouvement de protestation et des occupations dans 280 autres établissements de Milan, pour ensuite atteindre le reste de l’Italie. Les occupations se sont concentrées en particulier dans le « triangle industriel » : Milan-Gênes-Turin.
Dans le chef-lieu piémontais, les anarchistes ont joué un rôle de premier plan, reconnu même par des communistes comme Antonio Gramsci, spécialement grâce au travail de Maurizio Garino, Italo Garinei et Pietro Ferrero. Les anarchistes, comme minorité de la CGL (ils et elles furent surtout présent dans le FIOM, syndicat des travailleurs du métal adhérant à la CGL), étaient rassemblé-e-s au sein de l’Unione Anarchica Italiana et l’Unione Sindacale Italiana, syndicats très différents des organisations syndicales ordinaires en mettant l’accent sur l’éducation et l’instruction du salarié-e-s à l’autogestion et à l’abolition de toute hiérarchie. De fait, l’Union Anarchiste Italienne « U.A.I » (forte d’un demi million d’adhérents) lors de son congrès de Bologne (1er au 4 juillet 1920), préconisait la création de « Conseils d’usine ».
Le mouvement prend de l’ampleur début septembre, les patrons sont chassés, l’autogestion se généralise dans les ateliers, mais ne s’étend pas à tout le corps social. En septembre 1920, le mouvement d’occupation des usines s’étend à tous les établissements de la métallurgie des principales villes d’Italie : à Rome, Bologne, La Spezia, Gênes et Turin, les occupations se réalisent dans le plus grand enthousiasme. Selon Paolo Spriano :
Entre le mercredi 1er septembre et le samedi 4, les ouvriers métallurgistes occupent les établissements de toute la péninsule. A l’exception de la Vénétie-Julienne - où cependant la situation politique est très tendue en raison des premiers affrontements entre fascistes et socialistes et bien que l’on proclame la grève générale à Trieste - et de quelques autres petits centres où les travailleurs obtiennent immédiatement les augmentations demandées et la signature d’un accord sur la base de la plate-forme de la FIOM, l’occupation est totale. Les occupants sont constitués de plus de 400.000 ouvriers. Le chiffre atteindra le demi-million lorsque les personnels d’entreprise non métallurgistes procèderont eux aussi à l’occupation dans quelques villes. [1]
A la Fiat-Centro, le conseil d’usine déclare
« La commission interne ouvrière, en accord avec les commission interne des techniciens invite tous les ouvriers à rester à leur poste en continuant leur tâche comme par le passé dans un respect mutuel. Ouvriers, montrez que même sans patron vous savez parfaitement faire fonctionner l’usine. » [2]
L’occupation de Turin se caractérise par un effort pour organiser dès les premiers jours un système de gestion ouvrière des usines métallurgiques qui assure la coordination de la production, des échanges et du matériel, ainsi que l’approvisionnement en matières premières. Des conseils d’usine se mettent en place un peu partout à travers le pays. Au niveau national, les anarchistes cherchent à relier, sur la base d’un fédéralisme structuré horizontalement, tous les conseils d’usines, afin d’échapper au contrôle des partis politiques et des syndicats.
Le débat sur le rôle des conseils d’usine
L’expérience des conseils d’usine donne lieu à de vifs débats au sein mouvement ouvrier sur la fonction que les conseils devraient assumer dans le contexte social, ouvrier et politique.
Se distinguent trois courants de pensée :
- un propre aux réformistes,
- un propre aux socialistes maximalistes [3]
- et un courant anarchiste :
Le premier désirait que les conseils soient au sein des syndicats, de façon à détruire leur indépendance.
Le second considérait le conseil comme un organe révolutionnaire amenant à la conquête du pouvoir politique.
Les anarchistes, au contraire voyaient les conseils d’usines comme des corps révolutionnaires, représentants de tous les travailleuses et travailleurs (et pas seulement ceux et celles qui ont payé leur carte du syndicat) et capable, non de conquérir le pouvoir, mais de l’abolir.
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