Le désastre ne fait plus de doute pour personne. En abondance, les images et les discours qui l’accompagnent ont des airs de fin du monde. Tout porte à croire que l’exploitation et la mise au travail acharnée du monde nous plonge droit vers la catastrophe, et il apparaît impossible pour la civilisation de changer de cap. On pourrait s’en inquiéter. On pourrait aussi s’en réjouir. Quelle aubaine, il n’y a rien à faire, aucune bataille à mener, seulement attendre patiemment que l’économie continue son travail d’autodestruction, mettant fin toute seule à son propre règne millénaire. La vérité c’est que personne ne semble y croire. On continue tous de se projeter, les responsables désignés du désastre les premiers. L’avenir est sûrement très morose - il y a toujours de bonnes raisons de se foutre en l’air ou de devenir complètement cynique - mais tout le monde semble encore parier dessus. Ce n’est plus qu’une question de temps pour que tout le monde devienne écologiste. Et on l’aura compris, ce ne sont pas les petits gestes du quotidien qui changeront la donne, un bouleversement d’ampleur est nécessaire. Mais lequel ? Pour quel futur ?
Il faut avant toute chose que l’effondrement du monde soit retraduit en celui du modèle dominant. L’écologie confond les deux. En voulant éviter le premier, elle sauve le second en lui donnant une énième chance de survivre. Si c’est une évidence qu’il faut se battre aux côtés de tout ce qui résiste à la dévastation, il faut cesser définitivement de parler d’écologie. C’est une condition pour se poser la question révolutionnaire.
L’écologie, c’est la formulation d’un problème dans les termes du pouvoir
Rien n’est moins palpable que les causes structurelles du dérèglement climatique. On pourrait s’en prendre à telle ou telle infrastructure, mettre fin à l’utilisation de telle ou telle énergie, rien ne nous garantit que les catastrophes cessent. La civilisation contre laquelle on se bat a déployé en quelques siècles une organisation d’une telle complexité qu’il paraît inenvisageable de s’immiscer dans son fonctionnement. Arrêtons d’imaginer quelle serait la meilleure organisation pour une nouvelle société. Un autre monde de merde est toujours possible.
L’écologie n’est pas un champ de bataille mais une grande agora dans laquelle le pouvoir invite tous ceux qui veulent participer à sa prochaine métamorphose. Ou comment l’agriculture par drone et la permaculture participent ensemble malgré elles à la construction du monde de demain. Abstraction faite des bouleversements qui ne manqueront pas de se produire, on peut être assuré que le modèle dominant est, comme à son habitude, en pleine restructuration. On peut voir aujourd’hui toutes les luttes écolos comme autant de tentatives de ramener le pouvoir à la raison. Il ne faut pas sous-estimer la capacité de la civilisation à intégrer et récupérer n’importe quel correctif qui lui permettrait de durer encore un peu.
Tant qu’on parle dans la langue du pouvoir, sa logique pourra toujours triompher et le futur ne sera qu’une simple reconduction du présent, cette réalité infernale dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Un futur où la dévastation est plus ou moins maîtrisée grâce à une clique d’ingénieurs prête à tout, mais où la logique de domination et d’aliénation ne fait que s’approfondir. Ce futur dystopique nous fait vomir.
Pour contrer un futur entièrement soumis à la technologie, l’ écologie a pourtant trouvé une parade. Il suffirait de retrouver un rapport authentique à la vie, au vivant. Contre la modernité industrielle et l’agriculture intensive et destructrice, une paysannerie à une échelle plus humaine et respectueuse de l’environnement. Parce que la terre, elle, ne ment pas. Ou comment cette vieille figure de la civilisation qu’est le paysan devient salvatrice. C’est une vision du futur dont il faut aussi se débarrasser, celle du retour à un ordre passé.
Le vivant n’est pas sacré et n’a rien de supérieur à tout le reste. Il y a des combats qui se mènent à des endroits où le milieu naturel se résume à une dalle de béton. Pour autant, ils ne sont pas moins importants. Il faut se battre pour tout ce qui importe, ce qui est irréductible. Il y a des choses qui résistent et qu’il ne faut surtout pas chercher à faire rentrer dans une catégorie objective créée de toutes pièces par des biologistes. C’est en en faisant un objet qu’on a rendu possible la domination et la destruction de la Nature.
La civilisation ne date pas de l’avènement des sociétés industrielles, elle est beaucoup plus vieille. La facilité qu’il y a à critiquer la modernité dissimule mal le fantasme d’une vie passée. Il faut être capable de refuser les deux. Un futur qui se libère du passé et du présent ne doit plus chercher à imaginer ce qui n’est pas là, mais à refuser ce qui est là. Autrement dit, s’abstenir de tout réenchantement d’un avant-civilisationnel, comme de la modélisation de l’Après. Pour cela, il faut cesser de proposer des alternatives parfaitement récupérables ou de considérer les existences qui se soustraient au modèle dominant comme des alternatives. Le futur doit rester ce qui nous est inconnu. Il contient en lui l’impossible même. C’est à cette seule condition qu’on peut voir un futur où le modèle dominant se renverse, prend fin.
Ces dernières années, l’écologie politise de plus en plus en fédérant l’ensemble des habitants de la planète sous une bannière commune. C’est qu’elle pense mettre tout le monde d’accord : il faut bien sauver notre maison à tous. Mais difficile de ne pas voir comment ce projet universel ressemble fortement aux rêves les plus fous des fanatiques de la modernité. L’image de la Terre comme une totalité visible et une n’a été rendu possible que parce qu’un jour, des illuminés ont trouvé la bonne idée de marcher sur la Lune.
Si l’on doit bien retenir une leçon des Gilets Jaunes, c’est que le combat ne se joue pas entre le camp du Bien d’un côté et le camp du Mal de l’autre. Derrière la barricade, il y a différentes positions - des réacs, des réformistes, des révolutionnaires, qui ne sont pas conciliables. C’est une erreur de croire que les divisions, au détriment d’une unité, affaiblissent les luttes. Au contraire, c’est une banalité historique que de constater que les élans révolutionnaires sont bien souvent enterrés par la trahison de ceux qui un jour ou l’autre embrassent les institutions qu’ils combattaient initialement ensemble. C’est toujours la même histoire qui se répète. Ceux qui veulent améliorer le modèle dominant finissent toujours par prendre le dessus sur ceux qui veulent le renverser. C’est pourquoi il est nécessaire qu’une distinction prenne forme entre ces deux camps.
Seul un espace-temps insurrectionnel est à même d’anéantir le plus grand nombre de dispositifs et de les mettre hors d’état de nuire. Mais cela ne nous condamne pas à l’attente. Toutes les luttes sont des prises pour se battre, et sont autant d’occasions pour que naisse et se forme un camp révolutionnaire. C’est dans les conflits qu’il prend de la puissance et permet aux situations de prendre une autre direction que celle que connaît jusqu’à maintenant l’Histoire, la civilisation comme hégémonie.
Trouvons-nous à Sainte-Soline ou ailleurs pour que grandissent des positions révolutionnaires.
astronaute chez riseup.net
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