C’est pourtant exactement ce que vient de faire le Syndicat national des employéEs de l’aluminium d’Arvida (SNEA). Depuis quelques mois, la classe ouvrière du Saguenay-Lac-Saint-Jean passe au bat et les pertes d’emplois bien payés se multiplient. En mai, il y a la faillite de la Coopérative forestière de Laterrière (650 jobs). Juste avant Noël, c’est au tour d’Abitibi-Consolidated d’annoncer la fermeture de la papetière de Port-Alfred (650 jobs). Et voilà que la semaine dernière Alcan en rajoute une couche en annonçant la fermeture prématurée de ses cuves Söderberg, au Complexe Jonquière, détruisant ainsi 550 jobs. L’action du syndicat vise un peu (beaucoup) à contrer tout ça. La fin de semaine dernière, l’exécutif du syndicat réunissait une « cellule de crise » regroupant une centaine de militantEs pour discuter stratégie. Habituellement ce genre de « cellule » met sur pied une aide psychosociale pour les salariéEs qui perdent leur emploi et essaie de négocier les meilleures « conditions de séparation » possible. Lundi soir, une assemblée syndicale à huis-clos se tient pour présenter la stratégie proposée et tenir un vote. 2000 ouvrierEs participent aux délibérations et pas un mot ne filtre de la salle. Les commentateurs s’entendent alors pour prédire que les moyens de pressions seront de l’ordre du boycott des heures supplémentaires. Ce n’est que le lendemain que les syndiquéEs dévoilent leur plan d’action et informent de ce qui a été fait dans la nuit. L’idée de base est simple : repartir la production à plein régime sous leur contrôle tant qu’ils n’auront pas eu d’engagement écris d’Alcan qu’elle investira dans la région pour remplacer les emplois perdus. Dès lundi soir, après la première assemblée de ses membres, le syndicat a mis en branle sa stratégie, demandant à ses travailleurs des salles de cuves Söderberg de maintenir le fonctionnement à plein régime. La première salle de cuves mise en mode fermeture a repris du service et le centre de coulée, condamné l’été dernier, a de nouveau reçu du métal chaud. Selon le président du syndicat, Claude Patry, les syndiquéEs ont tout en mains pour assurer l’exploitation des Söderberg sur une longue période. Les travailleurs et les travailleuses, dit-il, contrôlent toute la chaîne de production, de l’arrivée de la bauxite aux installations portuaires de La Baie jusqu’aux salles de cuves, en passant par l’usine chimique Vaudreuil qui convertit la bauxite en alumine, le réseau ferroviaire et les installations hydroélectriques. Alcan, a clairement dit le syndicat, n’a pas intérêt à couper l’approvisionnement en bauxite qui arrive d’outre-mer ou en énergie, parce que ce sont ces autres usines d’électrolyse d’Alma, Laterrière et La Baie qui en souffriront. Le plus beau de l’affaire c’est que, pour l’instant, c’est Alcan qui paie les salaires puisque le processus de fermeture devait durer jusqu’en mars. La production à plein régime sous contrôle ouvrier est en quelque sorte le joker dans le jeu de carte du syndicat. La grève, arme traditionnelle, n’est pas pensable dans le contexte. En effet, faire la grève ça veut dire éteindre les cuves, exactement ce que veut le patron. Il faut dire que dans ce cas précis, les ouvrierEs ont le gros bout du bâton. En effet, la fermeture d’une salle de cuves consiste en une opération complexe qui nécessite la participation des travailleurs et des travailleuses. À moins que la multinationale décide tout simplement de perdre la production dans les cuves en coupant l’approvisionnement en électricité, il faut que les syndiquéEs consentent à l’opération. De plus, en produisant à plein régime, le syndicat empêche Alcan de vendre son électricité aux USA (l’un des buts avoué de l’opération). Interrogé sur la portée légale de « l’occupation », Claude Patry a répondu : « Ce n’est pas illégal de continuer à travailler ». Avant de laisser Alcan fermer ses vieilles installations, les travailleurs et les travailleuses exigent des garanties écrites d’Alcan. Ils et elles veulent une nouvelle aluminerie à Jonquière. Les syndiquéEs réclament qu’Alcan fasse de son Complexe Jonquière une usine de services pour les alumineries de la multinationale dans le monde. On propose par exemple que l’entreprise investisse avec un géant de l’automobile dans une usine qui pourrait créer un millier d’emplois à Jonquière. Les travailleurs et les travailleuses d’Alcan réclament aussi d’autres usines de transformation dans la région. La revendication porte sur cinq grand axes : augmenter la production et diversifier les produits de l’usine Vaudreuil, fabriquer les anodes pour d’autres usines de la multinationale, rapatrier toutes les activités de débrasquage d’Alcan au Québec, obtenir des investissements majeurs pour les cathodes graphitées afin de fournir les alumineries de nouvelles générations et faire du service atelier/usinage/forge/garage, le fournisseur de services de l’ensemble des installations d’Alcan dans la région. Apparemment que les syndiquéEs ont l’appui majoritaire de la population et des élus de la région. Évidemment que l’ensemble de l’opération, bien que très créative et combative, se place dans un strict cadre légaliste (quoi que...) et réformiste. D’ailleurs, la haute direction de la FTQ — à laquelle viennent d’adhérer les syndiquéEs via la fusion de leur fédération avec les TCA - appuie de tout coeur l’action. Henri Massé a tenu à apporter par communiqué « l’appui le plus entier de la centrale à la spectaculaire opération de résistance déclenchée par ses syndiqués chez Alcan à Jonquière ». N’empêche que la brèche qu’ouvre cette action dans l’imaginaire est sensationnelle. Il s’agit quand même d’une négation ouverte du droit de gérance de la multinationale et d’une formidable affirmation de pouvoir ouvrier. Et puis, entre le contrôle ouvrier et l’autogestion, il n’y a qu’un pas...
Nicolas Phebus
Northeastern Federation Of Anarcho-Communists http://www.nefac.net
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