« On était dans une impasse, c’était devenu inextricable entre l’occupation du site, les changements de réglementations, les autorisations pour les permis de construire, pour le défrichement, la loi sur l’eau, la préservation des espèces et les lenteurs de la justice dans les différents stades, la cour d’appel, le tribunal administratif, le Conseil d’État. Tout cela se superposait, c’était interminable. »
Gérard Brémond – Lemonde.fr – Après plus de dix ans de guerre d’usure, Center Parcs abandonne son projet à Roybon.
Ce triumvirat fut la pierre angulaire du succès des différentes occupations du mouvement des Zads de 2012 à 2018. Du moins jusqu’à la capitulation des tenants de la communication politique de Notre-Dame-des-Landes, qui rendirent les armes à l’état pour sauver quelques fermes. Achevant par cet acte toute perspective d’extension du mouvement, et, fidèles à l’histoire humaine des révoltes, actant l’existence d’interlocuteurs crédibles pour l’état au sein du mouvement de lutte.
Ayant fait partie des premièr.e.s occupant.e.s de la forêt de Roybon pour bloquer le projet, je parle en mon nom, et en mon nom seulement. La maison de la marquise, sur la partie ouest de la forêt, fut occupée au lendemain de la mort de Rémi Fraisse, tué par la grenade d’un Gendarme à Sivens. L’état, en proie à l’angoisse de voir un mouvement de révolte s’étendre dans tout le pays, fut contraint de lever le pied sur la répression de certaines luttes. Entre autres sur cet embryon d’occupation, sous le feu des projecteurs, et qui, au regard des circonstances, devenait intouchable.
Les premières semaines virent des hordes de journalistes camper devant la barricade d’accès à la marquise rebaptisée « Maquizad », entraînant un mouvement de solidarité impressionnant, malgré une communication du mouvement encore précaire. De tout.e.s la région les soutiens affluèrent pour nous porter vêtements chauds, nourriture, essence, palette, etc. Alors que les associations de luttes locales hésitaient encore à se mouiller dans cette occupation aux allures très post-apo, nous, occupants, occupantes, avons essaimé sur la forêt pour la défendre par centaines.
A peine 15 jours après l’occupation de la marquise, une épaisse couche de neige s’est abattue sur nos sentiers, nos cabanes et nos maigres K-ways. Certains.e.s occupant.e.s dormaient déjà dans les algécos du site de surveillance des vigiles de P&V, expulsés par un marche nocturne au flambeau. Certain.e.s occupant.e.s dormaient sur des plateformes de palettes à 15 mètres de haut, bercé.e.s par le lent balancement des chênes et des chataîgners qui nous accueillaient. Pendant que des centaines d’universitaires, glosent, publient et animent des séminaires sur ces mouvement d’occupations, nous étions au cœur de ces luttes. Et aucun mot, ni du lexique de Deleuze, ni de celui de Foucault, ne saura décrire ce que c’était.
Cette histoire,
cette histoire nous appartient.
Dans l’ombre de la belle et rayonnante Zad de Notre-Dame-des-Landes, nous existions. Nous n’étions pas beaux, pas belles. Nous n’étions pas de séduisant.e.s paysan.ne.s de carte postale attirant le tourisme sans scrupules des premier.e.s collaptiologues et écologistes décroissants. Les opportunistes de tout crin qui déferlent sur les lieux de luttes quand ils deviennent un temps soit peu médiatisés, choisirent en grande partie de dénigrer ce combat, voire de le boycotter. Car, malgré nos sourires, et la chaleur de nos cafés à la turque, nous n’avions pas les apparats d’une belle lutte rejoignable. Ce qui déferla sur le bois des Avenières cet hiver-là, ce furent tout.e.s les orphelin.e.s de la lutte de Sivens, choqué.e.s par les méthodes de guerre que la préfecture du Tarn abattit sur elles et eux. Ce furent tout.e.s les acharné.e.s, les désespérés de la terre prêt.e.s à défendre ce monde, non pas pour une belle et grande victoire révolutionnaire, éclatante de lumière, mais comme des animaux blessés défendant leur tanière. Nous n’avions pas besoin d’un énième rapport du Giec pour savoir que tout était foutu. Que la planète est en train de cramer et qu’il n’existe nulle perspective éclatante de lumière devant nous.
Les nuits au coin du feu, les camions embourbés, les compteurs piratés, les tisanes échangées avec les soutiens, ce sont des souvenirs pleins de chaleur que je n’oublierai jamais. Les longues randonnées chargées de bois dans la neige, les cours de grimpe improvisés, les réunions chaotiques dans la poussière de la vieille marquise, repeinte à notre goût ; cela n’avait rien d’épique, ni de spectaculaire, c’était absolument pittoresque et hors de tout contrôle.
Elle est là notre victoire, l’existence de tous ces gestes de révolte, de rencontre, de solidarité pendant cinq longues années, sans que l’hydre étatique vienne réclamer son arpent.
Par ce texte je ne veux en rien dénigrer le travail des associations et leurs recours juridiques, ni le travail de publication de certains médias tenaces alors que tout le monde regardait à l’ouest. Je tiens ici à rappeler l’histoire des occupant.e.s qui ont lutté et luttent encore pour cette forêt. Avant que quelques historien.ne.s, révolutionnaires ou non, qui n’y ont jamais mis les pieds nous volent nos récits et notre histoire pour en faire quelque salade ingérable par le grand public.
L’abandon du projet n’entérine aujourd’hui aucune victoire, il annonce une nouvelle étape dans la défense de cette forêt. Avant le Center Parc, un projet de décharge avait été étudié pour le bois des Avenières. On peut s’attendre sans trop d’hésitation à ce que Serge Perraud, maire de Roybon et figure de la grande bourgeoisie propriétaire, nous prépare une nouvelle horreur pour raser ces arbres, qui nous ne nous ont jamais fait défaut.
En tant qu’espace vivant non rentabilisé, cette forêt reste en proie à la prédation économique. Restons donc à l’affût des communications de la bête immonde et ses sbires. Rappelle-toi « Souris », rappelle-toi « l’Allemagne », rappelle-toi « Tropique ». Que ces sourires, ces souvenirs, ces rencontres, occupant.e.s et soutiens, qui nous ont tant marqué nous rappellent à l’engagement que nous prîmes le soir de l’occupation de la Marquise :
« Défendre cette forêt contre leur monde,ET contre le monde qui va avec ».
Un ancien de la forêt
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