Chapitre 1 : Critères de rentabilité, Covid-19 et réification de la maladie
A posteriori, certaines décisions politiques dans la gestion de la crise pandémique du COVID-19 ont pu sembler socialement et économiquement irrationnelles. Il parait en effet difficile de justifier aujourd’hui la communication sur la non-dangerosité du virus, la suppression des réserves de masques de protection, l’absence de dépistage massif ou encore la mise en place tardive de mesures de confinement. Le sentiment d’incohérence découlant de ces choix politiques pousse un nombre conséquent de personnes à envisager le complot comme forme possible d’explication. Cette série d’articles vise à démontrer et à expliquer qu’au contraire, ces choix relèvent d’un processus rationnel inhérent au fonctionnement du système économique actuel basé sur la rentabilité statistique. Au-delà de l’incompétence particulière de certains personnels politiques, pénétrer le fonctionnement des indicateurs statistiques nous permet de nous rendre compte de leur faible lien avec la réalité sociale qu’ils prétendent représenter sous forme modélisée. Pourtant, ils demeurent l’élément principal utilisé pour orienter les choix des décideurs publics ainsi que pour établir les protocoles standardisés guidant chaque tâche. L’utilisation de ces éléments a eu un impact décisif dans les choix de gestion de cette pandémie. Donnant l’illusion de fonctionner tant bien que mal en temps normal, les périodes de crise comme celle de la pandémie de COVID-19 soulignent les contradictions internes liées au fonctionnement du système économique actuel. A la lumière de cette pandémie, cette suite d’articles ambitionne de s’y pencher en détail.
Coronavirus, comment le système économique décide de qui doit vivre ou mourir ?
La pandémie de coronavirus a poussé à saturation les systèmes hospitaliers de nombreux pays du monde. Les personnels de soins des hôpitaux de Paris, New York ou Milan ont été confrontés au dilemme de devoir choisir quel patient en état grave devait être admis ou renvoyé à son domicile alors qu’il nécessitait des soins urgents. Dans certaines régions d’Italie [1] ou de France, on a rapidement vu des protocoles se mettre en place pour décider quels patients devaient être refusés. Dans la plupart des cas, la discrimination s’est faite sur des critères d’âge, les patients plus jeunes étant considérés comme prioritaires sur les plus âgés. On a ainsi vu des établissements refuser systématiquement l’hospitalisation à des patients de plus de 70 ans, puis de 60 voire de 50 ans.
Dans d’autres hôpitaux a été mis en place un arbre décisionnel de tri des malades [2] où les personnels devaient déterminer le « score de fragilité » des patients avant de décider de leur hospitalisation ou non. Basé sur l’âge ainsi que sur les différentes pathologies et traitements, ce score permet en définitive en cette période de crise de déterminer s’il est rentable de tenter de sauver la vie du patient.
Dans les deux cas, le but principal est de donner une feuille de route, discriminante mais claire, aux personnels soignants chargés de la décision de l’hospitalisation. D’ailleurs, la plupart d’entre eux ne sont pas au fait des processus à l’œuvre dans les directives qu’on leur donne pour le choix des patients. En effet, plus que la santé du patient et les chances réelles de le sauver, les protocoles qui gouvernent son acceptation ou non en hospitalisation sont déterminés par des critères statistiques de rationalité visant la maximalisation de la rentabilité économique.
La pandémie de COVID-19 a mis en lumière ce cas extrême où les personnels soignants se retrouvent confrontés quotidiennement au fait de devoir choisir qui pourra aller en réanimation ou non en raison de la saturation des services. Pourtant, en temps normal, des critères de rentabilité économique sont utilisés de manière systématique dans la prise de décision s’agissant des protocoles de soin. Notamment pour déterminer la valeur d’une vie humaine ; pour choisir s’il est intéressant financièrement d’administrer ou non un traitement à un patient en fonction de son coût ; pour déterminer les années de vie qui lui restent théoriquement à vivre s’il est soigné ; ou encore si une politique publique de santé (prévention, protection, achat de masque) peut être considérée comme rentable au vu de son impact statistique. En définitive, et à l’instar des banques, des entreprises et des Etats évalués en fonction de leurs risques de défaut de paiement, les patients atteints du COVID se voient attribuer une note en fonction de leur risque de « défaut de vie » : autrement dit leur mort.
Comme nous l’affirmions à propos des mouvements sociaux et de leurs relations aux réseaux sociaux numériques :
La société liquide est également la société de la notation […] Comme dans l’ensemble des autres secteurs économiques, l’avènement de la société liquide a accéléré la rationalisation économique et la recherche de la maximalisation de la rentabilité immédiate. Pour permettre cette rationalisation, l’évaluation est progressivement devenue un critère indispensable. […] Cette évaluation n’est pas déterminée par sa véracité ou par son utilité sociale, mais par son impact. Au sein des universités cela prend la forme de « l’Impact factor », sur les réseaux sociaux le nombre de « J’aime », dans les médias le nombre de vues d’un article ou d’une vidéo.
(B. Lalbat 2019)
On pourrait ajouter à ce paragraphe que : la notation d’une vie de travail s’évalue en Capital humain (cf. infra), celle d’un traitement thérapeutique en QALY (cf. infra) et celle d’une politique publique de santé en DALY gagnés (cf. infra).
Le rôle de la rentabilité au sein de la pandémie.
Certains textes ont souligné à juste titre le rôle du système économique actuel dans la pandémie de COVID19. Tout d’abord pour ce qui est de son apparition. À la fois comme résultante de l’avancée de l’urbanisation détruisant et minéralisant les forêts de Chine intérieure ainsi que de la transformation d’animaux sauvages en marchandises échangeable sur les marchés internationaux (Rob Wallace, 2019) [3]. La pandémie de COVID a d’ailleurs vu la chute internationale des prix des produits issus du pangolin [4], prouvant ainsi à quel point la consommation d’animaux sauvages dépend d’une économie de marché mondiale et non de traditions culturelles culinaires locales (considérées par certains habitants de pays occidentaux comme archaïques).
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Article publié sur le site lorage.org
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