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Publié le 14 décembre 2004 | Maj le 26 avril 2020

[Paris] Retour sur l’interpellation d’une journaliste de Radio Nova lors de la journée sans achat


Lors de la journée sans achat, l’Eglise de la sainte consommation organisait une procession non-violente autour de la fontaine des innocents. Du côté de la police, on procédait à trois arrestations abusives, dont la mienne, journaliste à Radio Nova venue couvrir l’événement.

Reprenons la scène.

Les fidèles font le tour de la place, glorifiant les temples de la conso (mac do, agent de change etc....). Tout se passe, selon l’expression consacrée « dans le calme et la bonne humeur ». Pourtant, lors d’un détour à la Fnac du forum des halles, l’action festive tourne court. Des CRS surgissent pour embarquer le prêtre. Je décide de suivre l’arrestation, et remonte les escaliers pour attraper quelques bribes de son. Quand j’arrive à la surface, le père Christophe est entrain de se faire « escorter » par la Police. Un fidèle zélé se jette dans ses bras et se retrouve à l’horizontal, porté jusqu’au poste. La pression monte.

Les hommes en bleu font barrage et « dialoguent » avec les manifestants, choqués. Soucieuse de garder une trace de ce moment, je tends mon micro.
Mais la main d’une jeune femme CRS vient appuyer de force sur les boutons de mon MD pour tenter de l’éteindre. La CRS m’interpelle :

coupez, coupez, on n’enregistre pas la Police.

Pour moi ce geste est démesuré et je revendique alors la liberté de la presse, avant de m’écarter de la ligne bleue. J’enregistre deux participants qui veulent montrer l’autorisation de la manifestation au commissariat, ils sont repoussés.

Un bon quart d’heure plus tard alors que j’interviewais d’autres activistes ainsi que des témoins extérieurs, un fidèle vient me voir :

je crois que la Police a l’intention de te prendre ton son, tu ferais mieux d’y aller.

C’est inimaginable, je n’ai quasiment rien enregistré des CRS, et je fais juste mon travail qui est de recueillir les différentes impressions. 30 secondes défilent sur le MD, le temps que mon interviewé achève sa phrase, et je quitte les lieux, sauvegardant le son. Je pense alors être libre de rentrer chez moi, et pourtant une masse d’hommes bleus m’attrape et m’encercle. Ils veulent m’embarquer.

Lâchez-moi, vous n’avez pas à faire ça, je suis journaliste, j’ai fini mon reportage, je rentre, point.

Je demande les motifs de mon arrestation, ils sont peu convaincants :

vous n’avez pas de carte de presse donc vous n’êtes pas journaliste, et vous participez à une manifestation illégale.

C’est faux. Ça ne fait pas assez longtemps que je travaille dans le journalisme pour être encartée, mais je n’en suis pas moins journaliste : j’ai des bulletins de paye de Radio Nova où la fonction de rédacteur-pigiste apparaît clairement. Je leur propose d’appeler mes supérieurs, ils me répondent « c’est ça moi aussi je peux appeler un copain ! ».

Le coup de la carte de presse c’est toujours une bonne excuse pour écarter les micros, et faire planer l’ombre de l’illégalité. Il s’agit volontairement de nier une réalité tout sauf suspecte : c’est normal qu’il y ait des journalistes non-encartés, il faut bien commencer. Et que dire de ceux qu’on appelle les soutiers de l’information, journalistes indépendants et souvent précaires à qui l’on ne fournit pas de documents officiels ?

Revenons à l’interpellation.

Je suis de plus en plus inquiète, et eux ne sont pas très à l’aise, ils enchaînent alors sur un autre motif :

Ne vous inquiétez pas, nous voulons juste vérifier l’enregistrement et voir si nous vous autorisons à le diffuser.

Il n’y a rien sur mon MD qui puissent poser problème, et ils le savent, puisque ensuite au commissariat, ils ne vérifieront rien du tout. Ils veulent juste me calmer, me faire peur. Et quand bien même, si le son est compromettant, je n’arrive pas à me faire à l’idée que la Police ait le droit de l’effacer. Enfin, sans le savoir, je suis entrain de me rendre coupable de « tapage injurieux », d’ailleurs eux ne le savent pas encore non plus, ils trouveront cette justification frauduleuse plus tard.

Dés mon arrivée au poste, on prend ma carte d’identité. Avant que la même jeune femme CRS ne m’oblige à éteindre mon portable, j’arrive à prévenir la rédaction et leur donne le numéro de fax du poste pour qu’ils puissent attester de mon emploi pour Radio Nova. Le commissaire est formel, jusqu’à ce que ce bout de papier arrive, je suis bloquée ici. D’ailleurs, une flic de la brigade VTT ne manque pas méchamment de me le faire remarquer. Les représentants de la force publique ne se gênent pas non plus pour faire des allusions sur ma soi-disant incompétence. On essaye de me dénigrer :

vous n’avez pas fait d’école de journalisme n’est-ce pas ? vous n’êtes donc pas journaliste.

Qu’ai-je fait au juste ? Pourquoi suis-je retenue dans ce poste de police ? On m’accuse maintenant d’avoir enregistré un représentant de la loi contre son gré. « Pour enregistrer, il faut une autorisation préalable » me dit-on. C’est bien connu, dans ce genre d’intervention, les journalistes quittent le terrain et attendent sagement le fax de la préfecture ! Du jamais vu. Que peut-on me reprocher alors que je me suis écartée suite à l’injonction de la CRS (ça s’entend dans mon enregistrement) ? En plus, l’agent dont j’ai pris la voix 5 secondes, puisque mon micro était tendu, ne m’avait alors personnellement rien dit. Toujours est-il que je me retrouve ici, et en attendant le fax, la jeune CRS qui avait voulu éteindre le MD me prépare un joli cadeau. Elle écrit sur un bordereau et vérifie mon adresse, je la lui donne et demande ce qu’elle compte en faire : « Vous verrez plus tard... » Rassurant.

Le fax libérateur arrive enfin et la CRS me tend la facture : une convocation devant tribunal de police pour « tapage injurieux ». Je proteste, je sais que je n’ai proféré aucune injure ni lors de mon arrestation ni au commissariat. Je demande à la jeune femme de me le confirmer « Est-ce que je vous ai insulté ? est-ce que j’ai été violente ? » « Non » me répond-t-elle formellement. Alors quoi ? En appeler à la liberté de la presse, pour eux c’est une insulte apparemment. Elle ajoute, zélée : « vous avez enfreint la loi, et mon devoir est de protéger les citoyens ». Sous entendu contre les gens comme moi ? On nage en plein délire. Verdict de son chef : « tapage injurieux, c’est carré, quand on est venu vous cherchez vous n’étiez pas très d’accord et on a du vous tirer un peu par le bras » !

C’est officiel, le système de répression de la contestation et de son relais par les médias fonctionne à merveille. Vous n’avez encore rien fait, mais méfiez-vous quand même. Une fois qu’on vous aura arrêté, vous allez sûrement vous y opposer et avec un peu de chance, vous aurez bien une parole ou un geste déplacé. Si vous écopez de la mention « outrage et rébellion », ça peut même se terminer très mal. Dans mon cas, j’ai la chance, d’abord de ne pas avoir perdu mon contrôle, ensuite, et surtout d’être soutenue par ma rédaction. Mais comment font les autres ?

Il est 17H00, retenue depuis une heure par la Police, me voilà courtoisement virée du commissariat « allez, vous dégagez maintenant ! »

Mathilde Serrell

/ Source : HNS-info

http://www.hns-info.net/article.php...


Proposé par silvain
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