Oui, la novlangue, ou "néoparler" selon la nouvelle traduction du roman 1984 [3], et ses oxymores rendent toutes les informations confuses, même ses zélateurs s’y perdent ! Les habitant.e.s préfèrent une ville sereine mais cet adjectif pour dire "ce qui est clair, doux, pur et calme", voire "transparent", [4] est l’angliscisme que s’est approprié la société spécialisée dans la surveillance et le flicage qui cherche à installer ses mouchards de partout : « serenicity ». Son président n’est autre que le marchand d’armes de Saint-Étienne, Guillaume Verney Carron. Les micros espions dans les quartiers populaires, elle appelle ça "la signature acoustique au service de l’innovation urbaine" [5].
Pour ta sécurité sérénité
Donne tes données
Le site l’Opinion, qui, comme il le dit, a une ligne éditoriale « claire : libérale, pro-business, européenne » [6], nous apprend qu’au delà de la surveillance, Serinicity « a aussi une activité de veille sur le réseau Internet, pour surveiller les activités illégales et les tentatives d’intrusion ou de piratage informatique. » [7]
La société dispose déjà de batteries de serveur (sic) grâce auxquels elle surveille, pour de grands comptes (banques, sites marchands, opérateurs d’importance vitale etc.) des mouvements anormaux sur des cartes bancaires, des transactions suspectes. Une mine d’informations qui lui permet même de dresser des « fiches H » de cyberdélinquants, leur palmarès criminel.
« Une cyberguerre est en cours, et nous sommes en train de la perdre » déclame Thierry Veyre, le fondateur de Serenicity. Les internautes tremblent devant les méchants pirates qui en veulent à leur coffre-fort de données ? Qu’ils et elles se rassurent, une solution est toute trouvée, citoyenne et participative : il suffit de donner votre adresse électronique à la gentille cyber-pompier. Captain Serenicity "vole au secours des citoyens connectés" ! vous dit Le Progrès, elle "protège les citoyens contre les attaques informatiques du démoniaque Zorkeb " ! Captain Serenicity te l’explique en BD.
Au Progrès, on ne sait pas le nom du truc dont on parle mais on vous dit que précisément 447 personnes ont testé ("ont été testées par" devrait-on dire) ce super dispositif ludique et citoyen à la biennale du Design. Un simple clic et tu participes au combat contre le Darkweb, "le méchant mangeur de datas" ! Allias ce type à sweat-shirt et capuche en visuel sur L’Opinion.
Divulguer ta vie privée
C’est la protéger
Autre petit vocable innocent hashtagué à longueur de clics par la gentille pompier : SDIS/TN est l’acronyme promotionnel de Serenicity. Pour Système de Défense, d’Information et de Sécurisation, des Territoires Numériques. C’est marrant, surtout avec ce petit slash, car SDIS c’est l’acronyme de Service Départemental d’Incendie et de Secours, l’organisme admninistratif qui gère les sapeurs-pompiers au niveau de chaque département.
Confusion dans le langage, petites erreurs, peu importe. La simplication du langage et la défiguration des faits sont les bases d’une bonne propagande.
"La double-pensée est un mot novlangue signifiant « contrôle de la réalité. » C’est le fait d’accepter deux idées opposées, simultanément et absolument. Elle est utilisée comme arme de manipulation psychologique de sorte que la personne soit incapable de penser par soi ou même de voir la contradiction dans leurs idées et accepter plus facilement les « gros mensonges »." [8]
Loin de ces discours de propagande, voici une partie des mots des habitant.e.s qui prirent la parole lors de la manifestation de samedi :
Bonjour à toutes et à tous,
Nous allons déambuler dans le quartier Couriot Tarentaize Beaubrun.
Cela nous permettra de le situer géographiquement et, aussi, de constater, de visu, la présence, ou l’absence, d’équipements collectifs destinés à rendre la vie des habitants et habitantes du quartier agréable.
Nous sommes là pour protester contre l’installation de micros (si on parle novlangue, on est prié de dire « capteurs sonores ») dont on nous dit qu’ils ne capteront que « des bruits suspects ».
Il va sans dire que nous contestons la stigmatisation d’un quartier de St-Etienne.
Le but de cette déambulation – que nous espérons SONORE – c’est aussi de se faire une idée de ce qu’est « un bruit suspect ».
D’après l’entreprise Verney Carron (fabricant d’armes stéphanois) – qui importe le matériel américain nécessaire à ces écoutes – ces micros ne capteront pas la voix humaine.
Fabrice Koszyk (dirigeant associé chez Serenicity) déclare, sans doute dans un accès de fureur poétique :
« Grâce aux sons collectés, peut-être qu’un jour nous serons en mesure de mener un recensement des chants des oiseaux par exemple. C’est aussi ça, la big data ».
Faut-il en déduire que les chants des oiseaux sont des bruits suspects ?
Si ces micros sont capables, à terme, de collecter les chants des oiseaux, nul doute qu’ils seront capables de capter la voix humaine, donc les conversations.
Cette technique s’inscrit dans la « smart city » voulue et promue par la mairie. Elle est expérimentée à Saint-Étienne, et sera, si ça marche, étendue au niveau de la ville, au niveau national, voire international. Nul doute qu’on nous dira que « ça marche » car il y a beaucoup d’argent à se faire pour certains.
Vu que nous sommes des « smart citizens » (des citoyens et citoyennes intelligents), nous sommes là pour dire NON à l’audio surveillance (en novlangue, on dit « audio protection » ou « audio tranquillité »).
Il y aura, au cours de cette balade, de la musique, des prises de parole, des lectures de textes. Si vous souhaitez vous exprimer sur le sujet, le micro vous est ouvert.
Lecture d’un passage de 1984 de George ORWELL (publié en 1949) :
Police de la Pensée
Il était terriblement dangereux de laisser les pensées s’égarer quand on quand on était dans un lieu public ou dans le champ d’un télécran. La moindre des choses pouvait vous trahir. Un tic nerveux, un regard d’anxiété qui vous échappe, l’habitude de marmonner pour soi-même, tout ce qui pouvait suggérer que l’on était anormal, que l’on avait quelque chose à cacher. En tout cas, porter sur son visage une expression non appropriée (…) était en soi punissable. Il y avait même en novlangue un mot pour désigner ce délit. On l’appelait face crime.
L’analyse comportementale est rendue possible via la reconnaissance faciale et ce n’est pas de la science-fiction. D’après l’observation de milliers de personnes, des algorithmes repèrent les passants qui auraient des comportements dits « suspects » (environ 0,7% de la population).
En Chine, dans le Tsing Kiang en Chine, chaque immeuble est équipé de caméras et vous ne pouvez entrer et sortir que si vous présentez votre visage à la caméra pour qu’elle vous reconnaisse. Est-ce que c’est ce que nous voulons pour avoir davantage de sécurité ? La réponse est dans la question, non ?
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