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ANALYSES ET RÉFLEXIONS URBANISME - GENTRIFICATION - TRANSPORT
AUTOROUTE A45 (2016 - 2018)
Publié le 6 février 2017 | Maj le 23 avril 2020

L’A45 : petite leçon de charlatanisme


[Les dossiers COUAC]

Le samedi 19 novembre, avait lieu à la Gueule Noire (espace autogéré) une discussion organisée par Carabichou (un groupement d’achats de produits bio) au sujet du projet de l’A45.
Sensibles à la question, et déjà très actifs sur le terrain, quelques représentant-es de différentes associations étaient également présents, notamment le collectif « Sauvegarde des Coteaux du Jarez » (côté Loire, qui travaille avec le collectif actif côté Rhône, « Sauvegarde des Coteaux du Lyonnais ») et le groupe de « Coordination des opposants à l’A45 ». Nous y sommes allé-es pour en savoir un peu plus sur cette autoroute qui est loin de faire consensus. Et de fait, les informations récoltées ont de quoi faire réfléchir…

La réunion commence par une présentation du projet, dont l’élaboration débute en 1993, date du 1er rapport. À son origine, le dossier a été monté avec une perspective économique européenne, et la vision de l’économie de l’époque, qui prônait toujours plus d’échanges commerciaux, toujours plus vite. Libéralisme et mondialisation obligent. L’idée était donc de permettre aux camions andalous de rejoindre Cracovie, en partant de Séville, et en traçant une "diagonale du fou" sur le sol français. L’A45 devait être à l’origine un segment de cette diagonale économique, géométriquement conçue.

Il y a quelques mois, le projet était près d’être abandonné car trop coûteux, mais il vient d’être relancé par certains élus locaux, qui l’ont ressorti des tiroirs, en tirant de substantielles subventions de leurs chapeaux magiques. Le tracé de l’A45 tel qu’il a été entériné comprendrait donc 48kms de bitume, 4 tunnels, 11 viaducs et 5 échangeurs, pour la modique somme de 1,2 milliard d’euros (en restant optimiste). Il est à noter que cette nouvelle autoroute ne dispense pas les collectivités de financer des travaux sur l’A47 qui a besoin de toute façon de rénovations…

Quels sont donc les arguments avancés pour justifier la construction de cette nouvelle autoroute ?

Le discours officiel axe sa rhétorique sur deux aspects principaux : d’une part la volonté de soulager le trafic sur l’A47, actuellement saturée, et d’autre part la perspective de désenclaver Saint-Étienne, en gagnant du temps sur l’axe Lyon/Sainté. Motivations admirables… sauf que la majorité des véhicules qui circulent sur l’A47 et provoquent l’engorgement actuel de l’autoroute relèvent du trafic local et de petits trajets, qui ne seraient pas transposables sur l’A45. La construction d’un pont à Givors rendrait déjà le trafic beaucoup plus fluide. Sa construction est estimée à 300 millions d’euros, soit 4 fois moins que le budget annoncé pour l’A45. Le développement de transports en commun, peu présents, voire absents, sur l’axe Sainté/Lyon, serait également judicieux et profitable, d’un point de vue écologique et social.

En ce qui concerne le "désenclavement" de la ville, cette nouvelle autoroute ne ramènerait pas de l’emploi à Sainté, au contraire, elle ne ferait qu’en déplacer un peu plus vers la mégalopole lyonnaise, comme l’exemple le montre à chaque fois que de petites villes sont connectées à de plus gros pôles, qui aimantent toutes les activités.

Cela porte le doux nom de "polarisation" ou de "métropolisation". Le pôle le plus important attire à lui toujours plus. On peut en outre se demander si les 10 min de trajet en moins annoncées présentent un réel intérêt, au point de détruire, sur le seul territoire ligérien, 220 hectares de terres agricoles… D’autant plus que ces 10 min gagnées permettraient seulement de rejoindre Brignais, au sud-ouest de Lyon… Où 1/2h d’embouteillage attendent encore les joyeux automobilistes désireux de se rendre en centre-ville ! La zone est déjà fortement embouteillée à l’heure actuelle, et la situation risque de ne pas s’améliorer avec l’arrivée de 20 000 véhicules en plus tous les jours. Autant dire que les Lyonnais n’accueillent pas le chantier avec joie, et de fait : les communes lyonnaises se sont prononcées contre dès le départ.

Alors pourquoi tant d’entêtement à construire cette autoroute ?

Une des réponses est peut-être à chercher du côté du concessionnaire choisi pour la réalisation des travaux, attribuée sans surprise à … Vinci !

Comme pour d’autres Grands Projets Inutiles et Imposés, on assiste à la répétition d’un même scénario : un gros entrepreneur de travaux publics fait pression sur les collectivités pour convaincre les élus locaux (humains et corruptibles) de l’intérêt d’un chantier onéreux, et les principaux médias (dépendants et influençables) se font le relais de la bonne parole.

Il est intéressant de signaler à ce sujet que Paul Bernard, préfet de la Loire lors de l’ébauche du projet, qui a lancé la première enquête d’utilité publique de l’époque, s’est vu offrir par Vinci un poste dans l’une de ses filiales à la fin de son mandat. En effet il est aujourd’hui directeur d’Egis-Scetauroute... Une reconversion comme Vinci en a déjà offert à plusieurs autres élus, anciens partenaires de négociations. C’est beau quand les partenariats publics/privés tissent des liens si étroits ...

Pour l’A45 justement, à propos de partenariat public/privé : 845 millions d’euros de subventions publiques seraient versés par l’État et les collectivités locales pour le projet. Le reste serait complété par la Banque européenne d’investissement, alimentée par les banques nationales. Prêt remboursé par Vinci sur les péages de la nouvelle autoroute. Pas un centime à verser pour la construction : public/privé ou public/public ?

Il faut reconnaître que l’arrangement a de quoi interpeller. Et il reste encore à mentionner la clause de déchéance… Cette clause du contrat permet au concessionnaire, si l’infrastructure n’est pas assez rentable, de la rendre à la collectivité. De la rendre, ou plutôt de la revendre, et la collectivité se retrouve donc à la payer… une deuxième fois : double escroquerie !

Un projet qui risque de coûter très cher donc, et de causer de nombreux dommages collatéraux, en commençant par la mise en danger de petites fermes, qui perdraient de nombreux hectares sur le tracé de l’autoroute. Cette agriculture à échelle modeste, encore très présente dans nos campagnes, est une des richesses de la région. C’est elle qui permet d’alimenter nos marchés en produits de qualité, à des prix peu élevés. Tout un tissu paysan risque de disparaître, et pas seulement à cause des terrains coupés en deux par l’A45 : la distribution des terrains risque fort d’être elle aussi être impactée, et de nombreux terrains agricoles pourraient rapidement être transformés en terrains constructibles. En effet, près des autoroutes, on voit souvent émerger des lotissements-dortoirs pour travailleurs urbains, et près des échangeurs on construit des grande-surfaces et des hypermarchés… qui font grimper les prix fonciers (c’est une menace à prévoir également sur les loyers à Saint-Étienne).

Des visions du monde bien différentes

En fait, ce n’est pas seulement sur un projet d’autoroute que les opposants à l’A45 et les bâtisseurs de bitume s’affrontent, c’est sur une vision du monde... Car il est difficile d’arrêter l’idéologie du « tout automobile ». Les conséquences de ce Grand Projet sont difficilement chiffrables à moyen terme. Il est donc urgent de manifester notre désaccord : l’Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières) a donné un avis favorable fin octobre, et le Conseil d’État doit donner son feu vert avant la fin de l’année. Après ça, un décret du Premier ministre suffirait à lancer le début du chantier, qui pourrait donc démarrer d’ici 5 mois à peine.
L’imminence des travaux ne décourage pas pour autant nos inventifs et enthousiastes amis des coteaux du Jarez et du Lyonnais, et du pays du Gier, qui ne comptent pas désarmer, bien au contraire ! Il leur reste encore quelques recours à déposer en justice, et de nombreuses réunions et conseils locaux à agiter pour faire pression sur les élus. La protestation se fait de plus en plus visible et les rangs des opposants grossissent, signe que de plus en plus de gens sont alertés sur la question. Le public stéphanois, jusque-là peu sensibilisé, semble se réveiller. Tant mieux : dans la lutte qui risque de bientôt démarrer, les propriétaires qui refuseront l’expulsion auront besoin d’un soutien massif pour tenir, face aux pressions juridiques et financières…

L’arnaque A45

La planète irait mal, paraît-il. L’économie aussi. Et Saint-Étienne perdrait un peu plus chaque jour de son esprit d’entreprendre… Qu’on se rassure cependant : la solution est toute trouvée ! Une magnifique autoroute toute neuve qu’on nous prépare, sur un tracé tout à fait original et inédit : Sainté/Lyon, en traversant quelques paysages pittoresques de nos campagnes lyonnaises et ligériennes. L’agriculture locale risque bien d’en être quelque peu impactée, mais c’est le prix à payer, nous dit-on. On ne mangera peut-être pas de choux l’hiver prochain. Mais certains prévoient de faire beaucoup de blé… sur notre dos !

P.-S.


Proposé par Couac
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