Actualité et mémoire des luttes à Saint-Étienne et ailleurs
ANALYSES ET RÉFLEXIONS CAPITALISME - GLOBALISATION / EXPRESSION - CONTRE-CULTURE
Publié le 14 mai 2004 | Maj le 8 novembre 2018

Entretien Alex Foti (EUROMAYDAY 04) - Cognitaires de tous les pays, unissez-vous !


Alex Foti, 37 ans, est économiste de formation, éditeur et membre du réseau italien « chainworkers », qui rassemble individus et collectifs mobilisés autour des questions de précarité. Il est à l’initiative du « EUROMAYDAY 04 », la première édition européenne d’une manifestation festive et activiste qui, en contrepoint aux habituels défilés syndicaux, a rassemblé entre 60000 et 70000 personnes le 1er mai dernier a Milan autour du thème du précariat et du « cognitariat ».

Qu’est-ce qu’un cognitaire ?

Alex Foti : Depuis 20 ans, avec l’arrivée du post-industrialisme, on observe parallèlement à la disparition d’emplois dans l’industrie, la progression exponentielle dans le secteur des services de deux types de profils socio-professionnels : en bas des échelons du marché du travail, les précaires, que l’on trouve dans les grandes surfaces, les services de proximité, les soins aux personnes... et en haut, des personnes qui possèdent un haut niveau de savoir, un bon diplôme, qui savent utiliser un ordinateur, ont des capacités rédactionnelles. Ce sont les intermittents, les chercheurs, les programmeurs informatiques, les traducteurs, les concepteurs-rédacteurs dans la publicite, les pigistes ; des hommes et des femmes qui parviennent plutôt à se vendre sur le marché, qui jouissent donc d’un pouvoir individuel mais qui n’ont pas de pouvoir collectif. Ce sont les « cognitaires ».

Le point commun entre ces précaires et ces « cognitaires », c’est qu’ils produisent la plus grande part de la valeur ajoutée des économies néo-libérales. Ce sont les ouvriers et cadres de la société post fordiste. Ces précaires et cognitaires sont dans l’ensemble des jeunes, confrontés à un marché du travail impitoyable, dont l’organisation actuelle de l’Etat Providence ne tient pas compte. Prenons l’exemple des retraites ; c’est dans l’intérêt de tous aujourd’hui que les jeunes puissent entrer dans la vie active et fonder des familles, sinon, ils ne pourront pas cotiser pour le reste de la société. Or lors des mobilisations syndicales à travers l’Europe l’année dernière, qui a posé la question des retraites en terme générationnel ? Personne.

La politique est encore aux mains des soixante-huitards, il faut que ça change. 68, c’était il y a 40 ans. C’est plus loin de nous que 68 l’était de la seconde guerre mondiale ! Notre génération doit prendre ses responsabilités et construire ses propres formes politiques.

A la realite sociologique et aux conditions economiques de ces nouveaux types d’agents economiques que sont les precaires et cognitaires, correspond donc selon vous une nouvelle identite politique ?

Depuis la première édition en 2001, le Mayday est une alliance entre les syndicats de base (type Sud) et des collectifs de média activistes, programmeurs, hackers, précaires, écologistes urbains, selon un spectre politique très large allant des conducteurs de vaporetto de Venise aux étudiants et chercheurs précaires de l’université de Sapienza à Rome, en passant par les infirmières, les centres sociaux, les revues...

En collaboration avec les intermittents du spectacle français mais aussi les réseaux Stop précarite, les mouvements de chomeurs, de sans logement, nous espérons construire une coordination trans européenne pour revendiquer nos droits sociaux a Bruxelles, Paris, Rome, Madrid... C’est pour cela que nous nous retrouvons dans la lutte des intermittents du spectacle et que certains d’entre nous viendront les soutenir pendant le festival de Cannes.

Avec les groupes du Global project (héritiers de l’experience des « Désobeissants »), nous avons rédigé un manifeste « Precog », qui désigne les précaires et cognitaires, en référence à la nouvelle de Philippe K. Dick (mise en scène par Spielberg dans son film Intelligence artificielle), sur le mode des manifestes futuristes et surréalistes. C’est un manifeste social, politique, revendicatif. Nous voudrions construire une identité qui soit libertaire, environnementaliste et transgenre, qui accepte toutes les identités sexuelles et ethnique, qui lutte avec les précaires, les femmes, les minorites. Ce manifeste dit aux entrepreneurs italiens qu’ils ne pourront pas résoudre les problemes économiques de l’Italie en s’organisant autour de la précarite. Il s’adresse aussi a la gauche italienne qui n’a pas su empecher l’arrivée au pouvoir de Berlusconi. Ce texte, nous l’avons accompagné d’une idée un peu blasphematoire : l’invention de Saint-Précaire, patron des luttes contre le libéralisme qui désormais ouvre nos manifestations, comme les saints patrons ouvrent depuis toujours les processions religieuses en Italie. Saint Précaire est apparu pour la première fois dans un bus, pendant que des controleurs verbalisaient des militants pour la gratuité des transports. Plus sérieusement, c’est pour nous une forme de signature, une maniere de montrer le lien qui existe entre tous les conflits que connait l’Italie depuis decembre dernier, de la grève des cheminots (première grève sauvage en Italie depuis 10 ans) aux mobilisations contre le manque de moyens a l’université.

Ce pôle de radicalité européen qui s’esquisse, quel rapport peut-il avoir avec les partis à quelques semaines des élections du 13 juin ?

L’expérience de Zapatero nous montre qu’un certain socialisme très engagé pour l’égalité homme femme et surtout très opposé à l’atlantisme unilatéral, a aujourd’hui des opportunités electorales. Mais qu’est-ce qui a fait gagner Zapatero ? Le fait qu’après le 11 mars, la société espagnole s’est mobilisée et que ceux qui ne votaient jamais, surtout les jeunes, ont décidé de voter pas tant pour le PSOE que contre Aznar, le néo-liberalisme, l’intégrisme catholique, le nationalisme castillan... les socialistes doivent comprendre qu’ils ne sont pas la société. Ils ne sont que des partis. Ce qu’ils peuvent faire, c’est se laisser traverser par les mouvements du moment et se le laisser porter. Aujourd’hui une organisation politique doit ètre horizontale, en réseau, ouverte sur l’exterieur. La catégorie « militants » appartient au passé. Aujourd’hui, nous sommes des activistes. Un militant croit toujours aux grandes causes. Un activiste se mobilise s’il aime ce qu’il est en train de faire. Un activiste ne se mobilise pas parce qu’il doit le faire, ni parce « qu’il faut » le faire mais parce qu’il sent qu’il veut le faire. Aujourd’hui, la société civile globale s’active et donne la priorité aux hommes et femmes politiques qui sont capables comme Zapatero d’intercepter ces mouvements et de jouer leur rôle de médiation institutionnelle.

Propos recueillis par Jade Lindgaard

P.-S.


Proposé par freed0m
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