Je viens de la civilisation du tas de fumier, je le dis sans honte, et je pense que le monde contemporain industrialisé doit rapidement changer de paradigme si il veut avoir un lendemain.
Ne prenez pas peur, je vais développer ce que j’entends par civilisation du tas de fumier, et ce que je mets derrière le changement de paradigme.
Le tas de fumier, avant d’être ce truc sans forme qui pue, c’est quelque chose qui est le symbole d’une relation cyclique aux choses. Déjà , chez les paysans dignes de ce nom, le tas de fumier est fait « au carré », preuve de la conscience qu’on a de son importance.
Baste. Le tas de fumier, c’est ce truc sur lequel on met tout ses déchets, qui sont évidemment tous biodégradables, et qui va finir par se transformer en compost, bouclant ainsi la boucle lorsqu’il va servir de fertilisant.
Ce que je veux dire par là , c’est que si l’on veut avoir une « société durable », il faut rapidement retrouver ce sens ancré intimement, qui existait dans les sociétés rurales, du cyclique, et non plus voir le déchet comme un truc ultime dans une chaîne linéaire et descendante, dont on se débarasse sans trop savoir où il va mystérieusement disparaître. Surtout que les lois naturelles étant, elles, immuables, ces déchets suivent le cours du cycle en nous revenant immanquablement sous formes diverses, mais pratiquement toutes incluses dans la catégorie des pollutions.
C’est le sens d’ailleurs de certains axes de développement, portés par les projets ANR, qui cherchent à rendre le développement « durable ».
Cette remarque me permet de rebondir vers un point qui me parait essentiel, celui de continuer à développer les technologies toujours plus loin, mais en gardant à l’esprit ce besoin fondamental de cyclicité dans le devenir de nos productions. Je pense qu’il faut mener les deux fronts en même temps, celui de la reruralisation et celui du développement technologique. Ce qui, au final, suppose tout simplement de reprendre le cours normal de l’évolution humaine, après une parenthèse d’amnésie et d’aveuglement, liée à la croyance absolue en un mot malheureusement fourre-tout, le Progrès, dont on doit impérativement discerner les différentes composantes, Progrès technique, Progrès industriel, Progrès social. Par exemple la multiplication des cancers à cause de la pollution est-elle un progrès, même si on en meurt globalement moins grâce à la recherche dans le domaine ? La surenchère technologique est-elle « durable » et est-elle du Progrès ? Et que vaut le Progrès technique si il ne s’accompagne pas de Progrès social ?
Au début du siècle, ce que les gens connaissaient du Progrès dans les campagnes, c’était la fin des épidémies grâce à la vaccination, l’électrification et le début d’une vie moins pénible, et les gaz de combats. Je trouve ce constat assez parlant pour éclairer le débat sur les directions, communes ou non, du Progrès technique et du Progrès social.
Pour une société durable, écologique, on a besoin de faire aller Progrès technique avec Progrès social, en réinvitant la notion de cyclicité dans le débat.
Ce changement de mentalité ne peut pas suffire, tant que l’on considèrera la planète comme étant un monde offert à l’homme pour l’exploiter, et c’est là qu’intervient le changement de paradigme.
En Europe de l’Ouest, nous avons quitté l’ancien paradigme qui voyait l’Homme et la Nature comme faisant un tout, au moment de la Conquête et du massacre des druides, et de l’introduction de cette vision qui consiste à penser que la Nature est à la disposition de l’Homme, qu’il lui est donc supérieur, donc en dehors d’elle. Drôle de retour en arrière me direz-vous, mais pourtant, les druides étaient à la fois des scientifiques et des religieux. Ils avaient cette vision religieuse d’une unité des choses et de leurs cyclicité, tout en étant, et on l’ignore très souvent, à la pointe des techniques de l’époque. Par exemple, on a retrouvé une trousse d’ophtalmologue celte vers Bordeaux. Et qui maîtrisait le fer dans l’antiquité ? Malheureusement ce sont toujours les vainqueurs qui font l’histoire, et les principes fondamentaux de cette « science de la Nature » des druides ne se retrouve aujourd’hui plus que dans les pensées orientales comme le bouddhisme ou le shamanisme sud-américain.
Voilà le changement de paradigme que nous avons à réaliser en tant qu’occidentaux : arrêter de voir l’« environnement » comme extérieur et à dominer, mais comme faisant partie d’un tout, dont nous ne sommes que partie et totalement interdépendant.
Ca suppose comme préalable la réhabilitation de la civilisation rurale, infériorisée et détruite pour le profit d’un Progrès industrie
débridé, malheureusement au final que peu porteur de Progrès social ou d’un Progrès social éphémère, parce que mal ensemencé de pensée « cyclique ».
Parce que l’agriculture, ça n’est pas seulement une source d’approvisionnement en nourriture pour les gens de la ville. Dans la société rurale c’est avant tout un mode de vie basé, dans de nombreuses formes de sociétés rurales, sur un équilibre entre responsabilité individuelle et solidarité, un universalisme de fait, où tout ceux qui travaillent ont aussi besoin du groupe pour survivre.
Il faut que ces valeurs survivent à l’individualisme forcené, qui n’est absolument pas un type de société parmi d’autres, mais la négation de celle-ci.
On peut inventer une société jouant sur les deux fronts, celui de la ruralité et son mode d’organisation réellement durable, et l’innovation technologique vectrice de progrès social si elle est au service de l’intérêt collectif. Mais ceci suppose une prise de conscience du fait que l’on scie la branche sur laquelle on est assis, depuis qu’on cherche à faire disparaître définitivement le monde rural et son mode d’organisation. Ceci suppose aussi de s’attaquer à certains tabous terriblement puissant, comme l’interdiction d’aborder le problème de la surpopulation en Occident.
Ce monde exactement à mi-chemin entre ultra libéralisme et état providence, que tout le monde voudrait voir arriver, existait déjà , mais par aveuglement idéologique, ou par simple ignorance, on a voulu le faire disparaître, et on cherche aujourd’hui à le réinventer. Il synthétisait déjà les solutions à tous les problèmes qui nous contraignent aujourd’hui. Malheureusement on ne peut jamais refaire aussi bien que l’original quand on cherche à réinventer quelque chose, et le résultat ne pourra jamais être satisfaisant, j’en suis persuadé.
Au passage, la période individualiste, dont mai 68 a été la résultante, nous laissera un précieux héritage dans le processus de reconstruction des valeurs communes de la société de demain.
Je vois que les choses avancent, la Région Rhône-Alpes finance des projets de « développement durable » innovants au niveau des collectivités, elle stimule les projets de reruralisation pour un cadre de vie plus sain et à la qualité plus durable. D’un autre côté l’ANR finance aussi des projets tournés vers le développement durable. Tout ça est une bonne chose, à condition d’aller au fond des choses et d’impulser une rupture dans nos modes de pensées, en changeant de paradigme. Ca suppose une redéfinition du sacré, une forme de retour vers une pensée religieuse, qui mêle écologie et spiritualité. Sans cet ensemencement de l’écologie par une forme de spiritualité et de pensée cyclique, elle restera une coquille vide de sens, et les erreurs de la pensée « linéaire », « croissisante », du capitalisme continueront.
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